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Saint Jacques de Compostelle : Journal de marche

 

Maurice Rougevin-Baville, mai 2011.

VILLAUDRIC – SANTIAGO :
45 JOURS DE BONHEUR

Journal de marche d'un pèlerin en route vers Compostelle

 

  

A Mireille, que j'ai laissée seule si longtemps,
A mes enfants, petits-enfants, frères et sœurs qui m'ont tant aidé,
A tous ceux auxquels j'ai pensé en marchant, et ils sont nombreux,
A tous les pèlerins  qui ont partagé ma route, aux copines qui m'ont supporté,
            Merci de m'avoir accompagné dans cette belle aventure !

"Maurice, le toulousain aux 14 petits-enfants"

 

I / LE DEPART

"Quoi ! Il part pour deux mois, seul, à pied, en hiver, avec son sac sur le dos ? C'est de la folie…!"
Cette phrase, combien de fois Mireille l'a-t-elle entendue ? On ajoutait parfois "à son âge"…  A  moi, on ne me l'a pas dit ;  pas directement, du moins, ou très rarement.

JE PARS A ST JACQUES. J'y pensais depuis longtemps, distraitement ; plusieurs fois, en famille, nous avons fait une étape, pendant l'été : notre "marche familiale" nous a amenés à Moissac, à Conques, dans l'Hérault. En 2007, quand Paul, l'ainé des garçons, m'a annoncé son départ en pèlerinage à St Jacques pour Pâques, avec son aumônerie, je n'ai pas résisté au désir de l'accompagner, ce qui a été accepté ; une semaine sainte inhabituelle, avec 60 jeunes de 14 ans : un régal, car les jeunes sont hyper-super. Je pense que c'est ce qui m'a décidé, sans que j'en sois conscient. L'idée a mûri, j'en ai reparlé. Pour mes 70 printemps, en juillet 2010, Mireille a proposé à mes enfants et mes frères et sœurs de m'offrir ce voyage ; un merveilleux cadeau d'anniversaire. Dés lors, je ne pouvais plus reculer. Mais pourquoi St Jacques de Compostelle ? Mon frère Alain l'avait fait, ma sœur Claire le fait par petites étapes… Cela m'a sans doute convaincu que c'était le bon choix. Je voulais un but chrétien, c'est tombé sur Santiago. D'où partir ? Pour moi, il était évident que je partais de chez moi, tout simplement, sans étape préliminaire. De même qu'il était évident que je faisais le trajet d'une traite. Pourquoi ? Je ne me suis jamais posé la question. Reste à choisir un chemin ; partant de Villaudric, le plus simple est de rejoindre au plus court le chemin d'Arles, entre Toulouse et Auch : à L'Isle-Jourdain ; je veux aussi passer par St Jean Pied de Port, où j'étais passé en 2007, avec mes jeunes ; facile,  je couperai donc, entre Lescar et Arthez-de-Béarn, pour rejoindre la route du Puy. Je prendrai ensuite, en Espagne, le traditionnel Camino francès.

JE PARS POUR 50 JOURS. Fuite, abandon du domicile conjugal ? Recherche d'un exploit ? Non, je n'en ai pas marre de la vie, de ma femme, de ma maison, de mes multiples activités. Je veux seulement calmer cette vie souvent agitée,  prendre du recul, faire un peu le vide, essayer de retrouver ce qui est essentiel ; peut-être aussi me retrouver moi-même, et retrouver Dieu.  Parvenu aux 3/4 de ma vie, au moins, je veux me retourner un moment, juste un moment, avant de continuer. Je ne pense pas avoir à corriger grand-chose de ma trajectoire : la chance m'a toujours souri, je ne regrette rien de ce que j'ai fait. Mais sait-on jamais ? Peut-être faut-il parfois calmer le jeu ? Je sais aussi que je n'abandonne ni ma femme, ni mes enfants et petits-enfants, ils me seront très proches sur mon chemin, plus proches encore que lorsque je suis avec eux.

JE PARS SEUL. Bien sûr, si Mireille avait pu m'accompagner, nous serions partis ensemble ; mais ses multiples problèmes de santé, l'état de ses pieds, de ses genoux, lui interdisent toute marche un peu prolongée : dommage, mais c'est ainsi. Et il ne m'est pas venu un instant à l'esprit l'idée de proposer à quelqu'un de m'accompagner. Crainte de me fâcher avec un bon copain ? Souhait de rester libre, de ne pas avoir à partager mes décisions ? La question ne se posait même pas : je partais seul.

JE PARS A PIED, SAC AU DOS. Là encore, c'était évident. Je ne cherche pas l'exploit physique, j'ai passé l'âge : je n'ai rien à prouver à personne (ou alors, c'est très inconscient). Mais je sais que pour prendre le recul que je cherche, pour faire le vide en moi, il me faudra sans doute souffrir, faire de vrais efforts : mériter la récompense qui m'attend. Certes j'ai quelques soucis de santé, une récidive d'infarctus est toujours possible, les médicaments que je prends ne me permettent pas d'efforts trop importants ; d'un autre côté, j'aime la marche, j'ai une bonne résistance physique, ça devrait aller. Et je sais que je n'aurai aucun scrupule à retourner à la maison si mes forces ne me permettent pas de marcher avec mon sac. Il me fallait, évidemment, l'accord de la Faculté ; elle me l'a donné, en me demandant toutefois d'être "raisonnable" ; je l'ai promis. Une autre Faculté m'a interdit de partir sans la machine à respirer qui me permet, depuis quelques mois, de vaincre les apnées du sommeil : vlan, 2 kg de plus dans le sac à dos ; et 2 kg, ça n'est pas rien ; je me soumets, je l'emporte et l'utiliserai toutes les nuits. Au total, mon sac fait entre 11 et 13 kg, selon l'eau et la nourriture que j'y mets ; il faut bien boire et se nourrir…

JE PARS EN HIVER. Avais-je le choix ? Juillet et août sont réservés aux enfants et petits-enfants ; septembre et octobre, les vendanges et les vinifications ; mai, les Portes Ouvertes du Château Caze ; juin, un voyage des Ailes Brisées, une rencontre avec de vieux copains de la "3" que nous aimons retrouver… Novembre à février, il fait bien froid. Restent mars et avril, pas trop chargés. Mireille a prévu une cure à Dax à partir du 6 mars ; ça tombe bien, elle n'a pas besoin de moi pour cette cure. L'étude de l'itinéraire me laisse penser qu'il me faudra environ 48 jours pour faire le trajet et revenir, cela m'amène au 23 avril. Curieux, c'est justement le samedi saint : chic, je peux donc être rentré pour Pâques. Mais au fait, le carême commence le 9 mars ! Pure coïncidence ? Peut-être ; ou bien la Providence… mon pèlerinage sera donc un carême tout-à-fait inhabituel.
Et voilà comment une telle aventure se prépare ; on ne décide pas tout, on se laisse parfois porter par les évènements…

 

 

II / LE CHEMIN EN FRANCE

 

Dimanche 6 mars : VILLAUDRIC – MERVILLE : 21 km.
Messe paroissiale à Villaudric ; nos enfants toulousains et villaudricains sont là ; Pierre bénit mon chapeau, qui me protègera, mon bâton, qui m’aidera à marcher, le dizainier de Mireille, qui m’aidera à prier et la coquille de Saint Jacques, le repère sur le chemin.
11 h 20, c’est parti. Je ne suis pas au bout de la vigne du pigeonnier que le doute me prend. Quelle folie ! Partir seul, à pied, le sac sur le dos, pour 1 100 km ! Dans l’état où je suis ! Tout le monde le dit à Mireille, sans oser me le dire à moi. Monique, mon médecin, sait qu’elle ne me dissuadera pas ; mon cardiologue, en qui j’ai totalement confiance, me dit oui du bout des lèvres et me recommande d’être « raisonnable » ; ma pneumologue m’impose d’emporter la machine à respirer : 1,9 kg, avec l’alim et la sacoche. L’idée de faire demi-tour me prend. Mais je suis têtu et il y a longtemps que j’en rêve. Je suis bien triste d’abandonner Mireille, bien fatiguée depuis 8 mois, après sa fracture du tibia ; mais je la sais solide et ses filles ne l’abandonneront pas.
Petit à petit, les doutes s’estompent, la certitude revient : si le corps tient, le reste tiendra ; et le reste aidera le corps à tenir…
Déjeuner rapide sur le bord de la route, devant Carmantran. Le temps est magnifique, j’ai depuis longtemps remisé la veste dans le sac. Traversée de Castelnau, puis la route vers Grenade. Beaucoup de voitures, que c’est désagréable, mais pas moyen de l’éviter. Arrivée à Grenade, photo de l’église, petite halte réparatrice dans le jardin voisin, car la fatigue commence à se faire sentir. C’est reparti pour Merville. Je ne pense plus à rien, si ce n’est que c’est dur. Dur-dur de monter la côte ! 17 h, je retrouve Mireille venue me rechercher : pas de gîte à Merville ou Daux. 21 km, ça suffira pour ce premier jour. Retour à Villau, pesée du sac : 12,8 kg, alors que la gourde est vide et le repas avalé.
Nuit reposante ; nouvel inventaire du sac, j’arrive à en enlever à peu près 2 kg : Bible (hélas !) et Prions en Eglise d’avril, chaussures de rechange moins lourdes, taie d’oreiller, couverts, traductrice, tous accessoires non indispensables…

Lundi 7 mars : FORÊT DE BOUCONNE – L'ISLE-JOURDAIN  : 18 km.
… et c’est reparti. Mireille m’emmène dans la forêt de Bouconne : j’ai gratté 8 km, j’avais été trop présomptueux ; mais je ne veux pas, pour cette deuxième étape, prendre le risque de trop de fatigue. Temps de nouveau merveilleux, la forêt est belle, la nature commence à revivre. Déjeuner assis sur une bille de bois, le casse-croute passe bien. En sortant de la forêt, la vue, malgré la brume, est splendide sur le Gers. Route de crête, puis arrivée à L’Isle-Jourdain. J’ai le temps de visiter le Musée Campanaire (vaut le déplacement !) et l’église Saint Martin (bien sombre !) et arrivée à 17 h à l’Office de tourisme, au bord du lac. Accueil très souriant de Karine. Le gîte est parfaitement propre et bien aménagé. Petite promenade sur le bord du lac, beaucoup d’enfants avec leurs parents, c’est les vacances. Douche, lessive, et je m’allonge sur mon lit, au soleil, pour appeler Mireille. Etude de la suite de l’itinéraire, pour m’apercevoir que j’ai tout simplement oublié une étape entre Giscaro et Auch, après-demain : 42 km, ça fait beaucoup. Deux solutions : trouver une étape à mi-chemin (pas facile, La Motte est trop près de Giscaro, l’étape suivante serait trop longue jusqu’à Auch) ou faire un bout d’auto-stop ; c’est sans doute déshonorant et peut-être contraire à l’esprit du chemin, mais cela m’éviterait de retarder mon passage dans tous les gîtes où je suis attendu, car il n’y a plus moyen de gratter. Je verrai demain comment faire. Diner assez rapide, coucher, très bonne nuit, sans courbatures ; mais le sac à viande est trop étroit, je vais le supprimer.

Mardi 8 mars : L'ISLE-JOURDAIN – GISCARO : 17 km.
7 h 30, je somnole comme un bienheureux ; téléphone : Mireille veut me souhaiter une bonne journée ; elle a raison, il est l’heure de se lever. Toilette rapide, rangement du sac, ménage, me voilà prêt. Départ pour voir le « pont tourné », curiosité de l’Isle Jourdain. Toujours un beau soleil, mais un bon vent, plutôt frais, s’est levé dans la nuit ; on dirait le mistral, mais c’est bien l’autan. Ne voyant pas le pont Tourné, j’avise un brave homme assis au cagnard : il me dit que je me suis trompé de route (j’aurais mieux fait de regarder la carte…) et je le suis ; chemin faisant, nous bavardons comme de vieux amis. Le Pont Tourné est bien là, sur la Save, oblique par rapport au lit et non perpendiculaire. Pourquoi ? Mystère. Passage en ville pour prendre un petit-déjeuner, un sandwich et une banane pour midi et je retourne à l’OT, prendre mon sac et dire au revoir à Karine.
Parcours très agréable aujourd’hui, le vent est frais mais il me pousse, pratiquement pas de route, que du chemin. N’empêche, le Gers est bien vallonné… Arrêt au soleil pour déjeuner, allongé dans une prairie. Passage à Monferran-Savès, Mme Idrac me confie les clés de l’église puis vient m’y rejoindre. Eglise ressemblant beaucoup à celle de Villaudric, la nef, les chapelles latérales, les étoiles au plafond dans un ciel bleu… En sortant du village, je croise une jeune femme, chapeau à large bord, bâton de marche, sac à dos (tout petit) : c’est Louisa, pensionnaire d’un foyer pour jeunes handicapés. Nous bavardons quelques minutes, elle me parle des promenades qu’elle aime tant… Je lui montre comment régler son bâton à sa taille. Au revoir, petite Louisa ; et ne va plus te promener à pied sur la Nationale, c'est très dangereux, il y a trop de voitures...
Arrivée au Grangé, mon gîte pour la nuit. Accueil extrêmement sympathique de Lilie (basque toulousaine) et Andreas (natif de Hambourg). Après la douche, j’ai du mal à me réchauffer ; je me mets tout habillé dans mon duvet, puis je me fais un thé et emprunte l’ordi de Lilie pour vous écrire.
Excellent repas "familial" : potage au potiron, confit de canard aux pommes sautées, fromages et "rhum-topf", la spécialité d'Andreas : 500 g de fruits rouges, 250 g de sucre, couvrez d'un rhum solide (pas moins de 50 %) ; recommencez l'opération avec les fruits rouges suivants : groseilles, cassis, framboises, mûres, cerises, raisins : tout y passe ; évidemment, il faut un gros pot ! Le rhum-topf est prêt pour Noël, servez, comme Andreas, avec deux boules de glace à la vanille... un bon dessert !
Pendant le repas, on raconte sa vie. Ils ont tous deux fait le "camino", pour des raisons diverses, et s'y sont rencontrés. Ils n'ont plus voulu le quitter. Lilie a cherché un gîte à tenir, la propriétaire de celui-ci, âgée, voulait s'arrêter, l'affaire s'est faite, il y a un an et demi. Ce n'est pas facile tous les jours, beaucoup de travail en saison, beaucoup de travaux, mais quand on aime... et que l'on aime le chemin et ceux qui y marchent...
Bonne nuit, réparatrice.

Mercredi des Cendres 9 mars : GISCARO – AUCH : 18 km.
 Réveil pas trop matinal, petit-déjeuner rapide, je quitte mes hôtes ; Lilie attend pour juillet, je penserai à eux et au bébé.
Départ vers Auch, après avoir consulté les horaires des TER : 42 km, ça fait vraiment trop ! Le temps est toujours très beau, le vent est tombé. Le sac est léger, ce matin. Sur les conseils de Lilie, je traverse Gimont au lieu d'en faire le tour.  Arrêt pour acheter un casse-croûte (sandwich au jambon, pardon Seigneur), visiter l'église, traverser le marché sous la halle (pas de "gras") ; je traverse le pont sur la Gimone, un passant m'indique la chapelle N. D. de Cahuzac, ravissante, et me raconte l'histoire de l'hélice qui y est suspendue : dernier vestige d'un avion, perdu en mer dans les années 1910, échouée sur la côte et placée là par le frère du pilote, curé en charge de la chapelle, quelques années plus tard.
Je suis dans la chapelle quand le téléphone sonne. Mireille m'apprend des nouvelles bien tristes de Nice. Le sac, en repartant, est un peu plus lourd ; je pense aux enfants. Je saurai pour qui prier...
De nouveau des vallons, de nouveau alternance de route et de chemin. Le paysage est très beau. 1 km avant l'Isle-Arné, je quitte la route pour rejoindre Aubiet, j'arrive à la gare à 13 h 29 pour le train de 13 h 38 (il y en a un toutes les deux heures). Arrivée à Auch, traversée du pont sur le Gers pour monter à la cathédrale Sainte Marie ; ça monte dur, c'est un vrai pèlerinage ! J'ai réservé au presbytère, un bel hôtel particulier, pas très neuf, rue Dessoles, au cœur de la vieille ville. La responsable de l'accueil m'a appelé pour s'excuser de ne pouvoir être là, mais elle m'a donné tous les renseignements, codes, précautions... Ma chambre est presque à la hauteur de la cathédrale, vue magnifique sur la vieille ville et la ville neuve, de l'autre côté du Gers. Installation, lessive, mise en tenue légère et visite de la cathédrale (tampon sur la credencial) puis de la vieille ville. Le soir, à 18 h 30, messe avec imposition des cendres à Ste Bernadette, en bas, à l'autre bout de la ville. Beaucoup de monde, c'est la seule messe à Auch, présidée par l'évêque, Mgr Gardès. Retour au presbytère ; qu'elle est dure, la côte !
Dîner rapide (soupe aux crevettes). Nuit tranquille, je ne me fais pas bercer.

Jeudi 10 mars : AUCH – L'ISLE-de-NOE : 23 km.
Le temps est couvert, brouillard, puis plafond très bas, mais doux et sec. Départ à 9 h 30, de nouveau des coteaux, des cultures, des bois, des vallons. Passage à Barran, vieille bastide, tour-porte à l'entrée du village, clocher-tors (un des 33 répertoriés en France). Mais l'unique restaurant est fermé ; depuis combien de temps ? Pour combien de temps ? Je m'assieds sur un banc et termine le paquet de chips emporté de Villaudric, suivi d'une banane prise hier matin au petit-déjeuner. J'essayerai d'être prudent, à l'avenir, et de toujours avoir une petite réserve dans le sac.
Premières palombières ; on sent que l'on arrive dans le pays de Serge. Curieusement, par contre, je ne vois aucun gibier, dans les bois ou les cultures, même s'il y a beaucoup de traces ; il est vrai que j'ai le vent dans le dos, mais je crois pourtant ne pas faire de bruit et bien regarder : ni chevreuil, ni sanglier, pas le moindre petit lapin. Un perdreau par-ci, par-là, c'est tout.
Arrivée à l'Isle-de-Noé ; le village est bien mort, à part les camions qui traversent sans ralentir. Edna me voit passer et me récupère ; ni noms de rue, ni numéros...
Le gîte est tout bas, tout en longueur, il peut accueillir une quinzaine de personnes. Edna a échoué là par hasard, elle a plaqué son Angleterre natale, ses enfants et petits-enfants et arrière-petite-fille pour rester dans le Gers ; elle a ouvert le gîte il y a 5 ans ; elle a accueilli Cédric, un jeune alsacien. Petit tour du village, beau château.  Dîner sympathique, visite de Michèle (qui a beaucoup aidé Edna à lancer le gîte) et Henri,  et bonne nuit.

Vendredi 11 mars : L'ISLE-de-NOE – MONLEZUN : 26 km.
Départ vers 8 h 45, après un solide breakfast : œuf au plat, bacon, tartines, jus de fruit… la journée va être longue, 27 km. Brouillard assez frais : je suis parti sans veste, je la mets vite. Parcours magnifique toute la journée, rien que du chemin, souvent de terre, beaucoup d’herbe : pas toujours facile à marcher, mais tellement plus sympa que la route. Le brouillard se lève, je tombe la veste ; une biche, enfin !
Passage à Montesquiou, ravitaillement, l’église est ouverte : petite visite ; sortie du village par la porte ouest, descente très raide dans de jolis jardins ; passage à Pouylebon, perché sur la colline, à-côté de Castelbajac (est-ce le hameau d’origine de Claire de Castelbajac, dont la cause de béatification est en cours d'examen ?) et à Saint Christaud, curieux : un panneau sur une petite route indique le village ; on voit la mairie, la salle des fêtes, le cimetière et l’église (fermée) ; la route s’arrête là, aucune autre maison, le village est en fait constitué de toutes les fermes dispersées alentour… Je poursuis vers Monlezun, qu’elle est dure, la côte qui y mène ! d’autant plus qu’arrivé en haut, il me faut redescendre près d’un km pour arriver à mon gîte, chez Mme Séailles, à Barot : une maison neuve que mon hôtesse, paysanne ayant perdu son mari il y a dix ans, s’est fait construire après avoir vendu sa ferme toute proche, où elle tenait un gîte depuis plus de 30 ans. Maison bien conçue et très confortable. Mme Séailles est une maîtresse femme, elle sait recevoir ses hôtes, rien ne manque ; repas de qualité : garbure, omelette aux champignons, magret, fromage, gâteau de riz… de quoi reconstituer les forces ! Conversation intéressante, coup d’œil aux infos (tremblement de terre au Japon…) et bonne nuit de repos.

Samedi 12 mars : MONLEZUN – MAUBOURGUET : 24 km.
 Départ à 8 h 30, re-passage à Monlezun, descente tranquille sur Marciac, célèbre pour son festival de jazz. Passage devant la chapelle N. D. de la Croix, arrivée dans le village : tout semble fait pour accueillir des wagons de jazzophiles, moins pour les pèlerins. L’église est très sombre mais bien équilibrée. Charles m’aborde : "Vous allez là-bas ? Bravo. Moi, à 90 ans, je marche un peu le matin". Un autre : "J’y suis allé, à Saint Jacques ; vous verrez, la partie espagnole est beaucoup plus facile… "  Achat d’un repas rapide et c’est reparti sur le chemin. Un peu plus loin, je croise Alex, de Göttingen ; il est parti l’an dernier au printemps par le Camino francès, est resté quelques temps à Santiago, y a vu Benoît XVI et rentre au pays, il a pris le chemin de la côte, le GR 10 d’Hendaye à St Jean Pied de Port et va retrouver sa femme, médecin, pour partir au Ruanda dans une ONG. On voit de tout… On continue à voir des palombières un peu partout, c'est vraiment un sport national, ici.
Passage à Auriébat, on est maintenant dans les Hautes Pyrénées, pas pour longtemps ; arrivée dans la vallée de l’Adour, que c’est plat… ça change !
Arrivée  à Maubourguet, au gîte chez Clotilde et Henri. Là encore, tout est bien organisé, bien prévu, très amical. Visite en ville, carte postale pour Serge en souvenir de Bonne-maman. Le cybercafé est fermé ; visite de l'église, où deux personnes disposent les fleurs, pour la messe de demain, célébrée par Mgr Périer. Dîner avec mes hôtes, bien bon ; j'ai emprunté leur ordi pour vous expédier un petit journal de marche ; je n'ai pas toutes les adresses, merci de faire suivre...

Dimanche 13 mars : MAUBOURGUET – ANOYE : 24 km.
Départ à 8 h 30, le temps est couvert mais pas froid, un petit peu de vent m'oblige à mettre la veste aux haltes. Joli chemin. A Lahitte-Toupière, on passe dans les Pyrénées Atlantiques ; mine de rien, c'est le 4ème département en 8 jours de marche... ça avance ! Toujours autant de palombières, et le premier fronton de pelote : on se rapproche du pays basque. La balade est toujours aussi jolie, alternance de cultures et de forêts.
Si mes comptes sont exacts, ça me fait 171 km en 8 jours. Je pense avoir bien pris le rythme : aucune ampoule, pas de mal important, juste une bonne fatigue qui me permet de bien dormir la nuit. Je ne pensais pas m'en tirer aussi bien ! Pourvu que cela dure.  5 semaines comme cela et j'approcherai...
Depuis trois jours, j'ai presque toujours la chaîne des Pyrénées sur ma gauche. Joli décor ! Mais les sommets sont toujours dans les nuages.
Encore un repas de midi pris sur l'herbe, au bord d'un champ : un bout de pain et de la saucisse, deux œufs durs préparés par Clotilde, banane, chocolat aux noisettes ; un peu lassant...
Arrivée au gîte à Anoye vers 16 h, installation, lessive ; petit tour vers l'église du village, fermée. Le cimetière en fait presque le tour ; certaines épitaphes, sur les tombes, sont pour le moins curieuses ; on voit que l'on est dans un pays de chasseurs... la photo témoignera.
Patrick arrive au gîte vers 18 h ; médecin, mais ne pratiquant pas pour raison de santé, il alterne les pèlerinages et les voyages humanitaires. Les responsables du gîte viennent nous rejoindre ; on peut acheter ce dont on a besoin pour le dîner et le petit-déjeuner à leur petite « épicerie », à tarif supérette : bien pratique. Pour moi, ce sera un velouté de légumes, un poulet basquaise et un flan.

Lundi 14 mars : ANOYE – LESCAR : 36 km.
Départ assez matinal, 7 h 40 : quand on est réveillé... Je me sens une forme olympique, le sac est léger. Temps légèrement couvert, doux. A 11 h, arrivée à Morlaas. Je pensais y prendre un bus pour Pau, pour raccourcir l'étape ; mais tout compte fait, je déjeune vite fait dans un petit resto, très bon et complet, 11 €, (c'est le premier repas de midi « non-sandwich » depuis le départ) et je repars vers Lescar où j'arrive à 17 h : j'ai avalé mes 36 km sans m'en rendre compte, pas de douleurs, pas de gêne particulière, juste une fatigue un peu plus forte que les autres jours. Mais demain, je vais être un peu plus « raisonnable ». J'ai traversé de jolis coins pour cette étape, notamment le Bois de Bastard, très bien aménagé, et longé l'hippodrome de Pau, pas mal.
Passage à l'Office de Tourisme de Lescar, pour récupérer le code d'accès au gîte ; j'y rencontre Kurt, danois ; il est venu à pied de Maubourguet dans la journée, ça doit lui faire 55 km, c'est sa moyenne ! Tentative de dîner en ville, mais je ne trouve pas le petit resto sympa que l'on m'avait indiqué, je me rabats sur le dernier sandwich du bar-tabac qui est en train de fermer. Ça ira pour ce soir.

Mardi 15 mars : LESCAR –  MASLACQ  : 25 km.
Réveil tardif, rien ne presse. Départ tranquille vers l’office de tourisme : le car pour Artix ne passe qu’à 12 h 22 au bas du village, j’ai le temps. Je passe un long moment devant l’ordi de l’O.T., qui marche très mal ; je ne suis pas certain des messages envoyés… Sandwich, puis je prends le bus vers Artix, ce qui me permet de gagner 18 km sur le trajet pour rejoindre le G.R. 65, la route du Puy, à Arthez de Béarn. Pas de chemin, rien que des petites routes, mais bien vallonnées, ce que je n’avais pas vu sur ma carte, une 1/100 000ème routière. La pluie arrive, la première depuis le départ ; pas violente, mais suffisante pour retarder, d’autant plus que je dois consulter la carte fréquemment, n’étant pas sur un itinéraire balisé. J’arrive à Maslacq à 18 h 30, fatigué…Est-ce la journée d’hier ? la pluie ? le fait de ne pas suivre un itinéraire balisé ? La journée m’a semblé bien longue. Il est vrai que j’ai du faire environ 24 km depuis 13 h… Quelques achats à l’épicerie du village, qui gère aussi le gîte, où j’arrive enfin. Un couple d’australiens m’y attend, Denise et Mike. Dîner rapide et bonne nuit.

Mercredi 16 mars : MASLACQ – NAVARRENX : 20 km.
Il a plu toute la nuit, mais ça semble vouloir s’arrêter. Départ tranquille vers 9 h, on longe le Gave de Pau puis on grimpe sur la colline, ce n’est plus que du chemin ; de vallon en vallon, on arrive à Sauvelade. Le site est très joli. La petite église est ouverte, heureusement ; pas trop éclairée, mais très harmonieuse. L’abbaye (transformée en ferme, semble-t-il), ne se visite pas. Déjeuner sur le parapet d’un pont, rapide : il ne fait pas chaud ! Plus tard, deux filles me doublent, sportives, petit parapluie ; elles parlent un français parfait avec accent ; allemandes ? Elles sont parties d’Aire sur Adour mais ne peuvent marcher que cette semaine. Descente dans les bois vers la vallée du Gave d’Oloron, très grossi par la pluie. Arrêt à la petite église de Méritein, toute simple, très belle avec de jolis vitraux bien lumineux. Arrivée à Navarrenx chez mes hôtes, Michel et Monique Duriez. Accueil d`emblée très sympathique ; ils ont 5 enfants et 13,9 petits-enfants, en gros de 10 ans de moins que les nôtres ; ils accueillent depuis une dizaine d`années des pèlerins triés ou démunis. Pas de chance, ce soir-la ils sont “de service” pour garder des petits-enfants voisins ; mais quand je demande si on peut trouver une messe le soir ou le lendemain (je n`en ai pas eu depuis mon départ), ils appellent un prêtre retraité qui nous dit de venir aussitôt et nous offre une messe pour nous tout seuls dans la très belle église de Navarrenx.

Jeudi 17 mars : NAVARRENX – AROUE : 15 km.
L`étape est courte aujourd`hui, à peine 15 km. J`en profite pour faire le tour du village, très joli, tout entouré de remparts ; je passe au presbytère pour faire tamponner ma credencial, c`est Monique qui tient la permanence ce matin et me donne le coup de tampon. Achat du casse-croute : saucisson du pays, pain, chips, pommes, bananes ; Michel m`a fait cuire trois œufs, je suis paré pour au moins deux jours. Départ vers 11 h, quelques hésitations en sortant du village, il manque du fléchage, mais je suis très vite sur le bon chemin, très joli de nouveau, à travers bois, avec des petits ruisseaux, de jolies passerelles pour les randonneurs ; passé Castelnau-Camblong, je quitte le Béarn pour entrer dans le pays basque ; déjà ! Pique-nique rapide sur le parapet d`un pont, il tombe quelques gouttes et il ne fait pas chaud. Arrivé à proximité d`Aroue, je vois le panneau “Gite Bellevue 400 m”, je continue en descendant vers le village ; 1 km après, je vois un deuxième panneau “Gite Bellevue 400 m”, je réalise enfin que ce gîte est le mien et je dois me taper un raidillon de 400 m pour y remonter ; où avais-je la tête ? Arrivée au gîte, excellent accueil de notre hôtesse et de mes co-gîteurs : Denise et Mark, mes deux australiens de l`avant-veille à Maslacq, les deux suissesses qui m`avaient doublé la veille et trois autres australiennes, Velma (79 ans !), sa fille Patricia et une amie, Margaret ; ensemble elles font régulièrement le chemin, par petits bouts ; cette année, elles s`arrêtent a St Jean Pied de Port. Denise et Mark, eux, le font tranquillement, ce n`est pas leur première fois ; ils comptent arriver à Santiago vers le 15 mai ; cette année, ils marchent pour le petit Tom, 3 ans, fils d`une amie, atteint d`une maladie orpheline.  Le dîner est animé, Patricia nous mime la famille von Trapp avec son chapeau autrichien, nous chantons “Do, le do il a bon dos” et autres airs de la Mélodie du Bonheur. La nuit est calme malgré tout, il y a assez de chambres pour être au calme...

Vendredi 18 mars : AROUE – OSTABAT : 23 km.
Le temps s`est assez bien dégagé, départ tranquille vers 9 h pour Ostabat. Le paysage a changé : quasiment plus de cultures, uniquement de l`élevage, en tous genres : bovins, brebis, quelques chèvres, volailles, pas mal de chevaux aussi, dont des pottocks ; les paysages sont beaux comme tout, très verts avec les maisons toutes blanches. Je rejoins Denise et Mark partis quelques minutes avant moi, nous marchons ensemble pendant la matinée, ils me quittent pour se diriger vers Saint-Palais. Rude montée pour la chapelle de Soyarza, où la vue est magnifique sur les Pyrénées occidentales. Descente dans les bois, arrivée à Ostabat, où j`ai réservé dans un gite non-communal (le gite communal ne répondait pas, au début de ma prospection). Je retrouve Patricia, assise devant le gite communal. J`arrive au mien, c`est hélas ! un gite bien commercial... Il est cher, mais, au moins, propre et bien chauffe et le diner, à base de spécialités basques, est bon.

Samedi 19 mars : OSTABAT – ST-JEAN-PIED-DE-PORT : 18 km.
Départ vers 8 h 30, l`étape n`est pas trop longue. 3 km plus loin, je revois mes trois australiennes, prenant leur petit-déjeuner sur le bord du chemin ; leur gite n`était pas cher, mais pas chauffé ! Rien n`est parfait... Le chemin suit la vallée, en gros parallèlement à la route : pas trop de dénivelés. Arrivée à14 h 30 à St-Jean-Pied-de-Port, où Mireille vient me rejoindre. Je vois une chambre d`hôte sympa en arrivant, il a de la place. Passage à l`accueil des pèlerins, où je suis reçu de façon à la fois très chaleureuse et utile : beaucoup de renseignements, de conseils... Mireille arrive vers 16 h 30, elle a eu quelques soucis de voiture au moment de partir, elle est finalement venue avec la voiture de Martine. Installation, petit dîner tranquille, bonne nuit, la maison est très calme.

Dimanche 20 mars :
Grasse matinée, on descend à 9 h 30 pour le petit-déjeuner, messe en basque à 11 h, de beaux chants mais on n'y comprend pas grand-chose ;  repas simple dans un resto du village... Le temps est beau, avec malgré tout quelques nuages et un petit vent frais : on déjeune sur une terrasse, mais il faut remettre la veste quand le soleil se cache...  Après-midi tranquille, puis j'emprunte l'ordi de Tim pour faire le nº 4 de mon journal et l'envoyer. Dîner dans un petit resto sympa et on ne se fait pas bercer.

 

III / LE CAMINO FRANCES

 

Lundi 21 mars : ST-JEAN-PIED-DE-PORT – RONCESVALLES - AURIZBERRI : 22 KM.
J'ai promis d'être “raisonnable”, Mireille me monte donc en voiture jusqu'à la Vierge de Baïkorri : ça fait 12 km de moins, et surtout 800 m de dénivelée en moins, je n'aurais sans doute pas pu tout faire : dés que je monte, je dois m'arrêter tous les 50 m pour souffler... Le temps est beau, un peu de vent frais ; on se quitte à 11 h, une larme au coin de l'œil. C'est de la route, ça monte tranquille. Je rattrape un allemand de Dresde et un autrichien, ensemble nous rejoignons deux allemandes, Colette et Antje, 22 ans, étudiantes en biologie à Bochum. Nous partons tous les trois ; elles me font penser à notre Camillou. On parle de tout et de rien, machine à vendanger et métiers futurs, paysage, vacances... Arrivés au col, je propose la halte repos, elles n'ont rien à manger, étant arrivées trop tard hier dimanche à St Jean PdP et n'ayant rien trouvé à Honto ce matin. La baguette que tu as prise ce matin, ma Noune, est bien utile, le jambon aussi. Descente vers Roncevaux, changement brutal de décor : c'était dénudé, quasiment désertique côté français, ici nous sommes tout de suite dans de belles forêts.
Arrivée à Roncevaux, tampon sur la credencial ; je quitte mes deux étudiantes, qui ont trouvé un bon moyen d'utiliser leurs 15 jours de vacances de fac, et continue mon chemin. C'est plat maintenant, joli chemin bien aménagé dans des bois de hêtres. Arrivée à Aurizberri/Espinal : les seuls gîtes sont des chambres d'hôtes, j'y vais, je vais ensuite à la Taverne proche prendre un bon potage et un plat chaud, puis au lit.

Mardi 22 mars : AURIZBERRI  - VILLAVA : 34 km.
Départ à 8 h 30 après un petit-déjeuner plutôt léger. Le temps est couvert mais assez doux. Ca monte et ça descend, jusqu'au col d'Erro, très joli, dans les bois. Quasiment aucune rencontre. Après Zubiri, on longe de plus ou moins près la route qui suit la vallée de l'Arga. La pluie se met à tomber, pas forte mais assez pour mouiller. A une brave dame qui promène son chien, je dis qu'il me semble qu'il fera beau demain ; elle sort un i-pod (ou i-phone, ou i-pad ?) de sa poche et me confirme qu'il fera beau demain ; c'est beau, le progrès...
Arrivée vers 17 h au couvent Trinidad d'Arre, à Villava : joli village, vieille maison, très bon accueil par un frère mariste très gentil, chambre perso bien chauffée. Je vais à la recherche des ressources locales : vêpres et messe ; en sortant, trop tard pour dîner à l'accueil des pèlerins, il fallait y être à 19 h 30, il est 20 h, on ferme à 20 h 30, alors, mon bon monsieur, allez vous faire voir ailleurs... Je me rabats sur un bar où l'on me prépare quelques assiettes, champignons, tapas... Ca ira très bien. Coucher sans avoir pu écrire.

Mercredi 23 mars : VILLAVA – PUENTE LA REINA : 28 km.
Départ à 8 h 15, le ventre creux. Soleil magnifique, mais je mets les gants : il fait + 1 ºC. Traversée de Pampelune : ville propre, riche et fière de son passé de capitale des rois de Navarre : remparts, cathédrale, palais, jardins, ville moderne et vivante aussi. Passage dans le très beau campus universitaire, et arrivée à Cizur Menor. Je retrouve sur cette étape notre deuxième étape du pèlerinage AEP de 2007 : l'église du 12 ème, toujours aussi belle extérieurement mais toujours aussi fermée, l'endroit de la première prise de bec avec une fille de mon équipe, peu courageuse au départ mais transformée par la suite, le passage embourbé où nous nous étions tous trempé les pieds, le porche de l'église de Zariquiegui qui avait abrité notre repas de la pluie... Arrivée à l'Alto del Perdon, visi extraordinaire, splendide panorama sur 360 º, mais un peu trop éventé pour y déjeuner. Quelques centaines de mètres plus loin, un banc m'accueille, pour déjeuner et lézarder une petite heure au soleil.
Quelques kilomètres avant Puente La Reina, petit crochet de 5 km (après 26 km, ça compte !) pour voir la chapelle de Santa Maria de Eunate : ça vaut bien le détour ; et en plus, elle est ouverte... Un peu plus loin, les deux premières cigognes, posées dans un champ et qui s'envolent tranquillement devant un tracteur.
Arrivée à Puente La Reina ; le gîte des Padres Reparatores est bien accueillant, nous y sommes une petite trentaine. La douche est chaude, le chauffage marche, j'ai droit à une chambre seul (a-t-il cru que je ronflais quand je lui ai dit que j'avais une machine à respirer ?). Promenade en ville, c'est très joli. Diner avec Fred et Claudine, deux grenoblois. Puis bonne nuit.

Jeudi 24 mars : PUENTE LA REINA  - LIZARRA/ESTELLA : 22 km.
Journée un peu maussade, il pleut, pas très fort, mais de façon presque continue : pas très bon pour le tourisme, d'autant plus que l'on longe la plupart du temps l'autoroute de Logroño : pas terrible... Depuis hier nous sommes de plus en plus nombreux comme pèlerins sur le chemin, une bonne quarantaine au moins, me semble-t-il. On voit de tout : trois coréennes qui refusent de dire le moindre mot d'anglais : elles ne savent pas, ou je leur fais peur ? 3 canadiennes bien dans leur peau ; une berlinoise, Barbara, qui a mal au genou : je lui donne du dafalgan, lui montre ma genouillère et lui suggère de faire pareil ; une hambourgeoise, semblant vieillie prématurément, qui marche à 2 km/h et avec laquelle je partage une tranche de jambon achetée dans l'unique boutique ouverte sur le parcours... Tous ces gens ont visiblement l'intention de se dépasser, d'aller bien au-delà de ce qu'ils font d'habitude !
Premières vignes sur le parcours ; pratiquement toutes propres, bien entretenues, rangs larges (entre 2,5 et 3 m), gobelet ou palissées et cordon de royat avec deux fils et 2 x 2 fils releveurs.
Il n'a pas arrêté de pleuvoir depuis le début de la matinée ; pas fort, mais assez pour faire chuter le moral.
Arrivée à l'auberge municipale à 14 h ; l'étape est courte, mais le gîte suivant est à plus de 10 km, il faut que je me raisonne... L'hospitalier de service est moins aimable qu'une porte de prison, mais on arrive à se faire comprendre.
On est une  quarantaine dans le gîte ; pas de chauffage, mais la douche est chaude et il y a un sèche-linge, on peut donc faire la lessive. La pluie est maintenant forte, je reste enfermé dans le gîte jusqu'à 19 h 30, pratiquement sans personne avec qui échanger deux mots ; j'en profite pour faire mon journal, mais c'est un peu démoralisant. Je sors dîner, friture de calamar et deux oeufs au chorizo, très bon ; je rentre me coucher, avec l'une des coréennes au-dessus de moi : toujours pas un mot...

Vendredi 25 mars : LIZARRA/ESTELLA – TORRES DEL RIO : 30 km.
Petit-déjeuner léger, un verre de thé, 6 petites biscottes, confiture. Le ciel est noir de tous les côtés, mais il ne pleut pas. Passage à Iratche : très belle collégiale, hélas fermée, et fontaine à vin de la bodega, mais le vin est épuisé. Plus loin, je me surprends à fredonner l'Hymne de la Création : c'est pas beau, la vie ?
Quelques rencontres : 3 espagnols peu bavards en-dehors de leur langue ; 3 allemands pas très jeunes et bien essoufflés. Et deux francaises de la région de Genève, entrevues la veille : Anne, grand-mère sportive et bien dans sa peau, et Marie-Pierre, blessée par un divorce et un cancer ; 45 – 50 ans toutes deux, bonnes copines ; parties de Genève, elles en sont à leur cinquième troncon de chemin ; Anne parle, parle, parle.. et le chemin passe tout seul. A 12 h 30, nous sommes à Los Arcos, l'étape est finie. Déjeuner rapide, un sandwich, et je décide de continuer avec elles jusqu'à leur étape, Torres del Rio, 8 km plus loin. On se regroupe avec nos deux grenoblois, Fred et Claudie, et c'est à cinq que nous arrivons au gîte où elles ont réservé, la Pata del Oca. Très bonne auberge, toute neuve, encore en cours d'installation. L'ordinateur que me prête l'aubergiste ne marche pas ( ou je ne sais pas le faire marcher) mais le dîner est excellent, douche et dortoir sont parfaits. Dîner sympa ; un italien sportif, spécialiste du trail (course en montagne) nous a rejoints. Puis bonne nuit.

Samedi 26 mars : TORRES DEL RIO  - LOGRONO : 20 km.
 Départ vers 8 h 30, le temps est très beau ; les autres sont déjà partis. Un peu de relief. On quitte la Navarre pour entrer dans la Rioja.  Arrêt à Viana pour ravitailler, j'y retrouve Anne et Marie-Pierre, puis Fred et Claudie.
Depuis 2 jours, le paysage a beaucoup changé, on se croirait en Provence, dans la colline : même relief, même végétation, mêmes bories. Mais à 10 km de Logroño, ça change brutalement : on entre dans la Rioja, des vignes et des caves partout. Le tout est le plus souvent très bien entretenu. Mais on arrive vite dans la zone industrielle de Logroño : pas terrible...
A l'entrée de Logroño, le café nous est offert par une brave dame, chargée de compter les pèlerins ; nous sommes les 35 èmes de la journée. Sa mère faisait la même chose il y a plus de trente ans et une plaque sur la maison le rappelle. Séparation à l'entrée de Logroño : les filles ont leur hôtel, le couple son auberge, et moi le gîte municipal : propre mais sommaire et peu de place dans un dortoir surchargé. Visite en ville, le cœur historique est joli mais vite vu. A 18 h 15, la cathédrale se remplit complètement : messe de neuvaine, me dit-on. Dîner dans un des rares restos qui accepte de me servir à 19 h, ce n'est pas l'heure des locaux et pourtant j'ai peur que les tapas ne me suffisent pas. Je m'envoie une friture de calamar (excellente) et deux verres de rosé (pas mauvais) avant la messe de 19 h 30 à l'église Santiago ; aucune allusion aux pèlerins (je dois être le seul à la messe) … et je vais vite me coucher : au lit à 20 h 45.

Dimanche 27 mars : LOGRONO  - NAJERA : 31 km.
La nuit a été courte, on a changé d'heure. Départ à 8 h, traversée de la banlieue ouest de Logroño, bien moins laide que l'arrivée par le nord ; puis on traverse la Grajera, secteur très joliment aménagé ; un écureuil stationne à quelques mètres du chemin ! On se retrouve ensuite dans le vignoble, rien que des vignes partout ; bien éclairé par le soleil levant, c'est beau... Les chemins sont ceux des exploitations viticoles, très bons. Dans la journée, je vais souvent revoir, au gré des haltes, les copains des jours précédents : Fred et Claudie, Anne et Marie-Pierre, Dorothée la hollandaise et Anne la belge, Armin, un munichois de 20 ans, beau comme un cœur, au dire des filles. On parle de tout et de rien, du chemin, des ampoules, du temps, des enfants, des projets... Déjeuner-sandwich à Ventosa, après la traversée de Navarette, et on arrive tranquillement à Najera : 31 km, je ne les ai pas vus passer. Jolie ville, jolie rivière. Gîte municipal, tout neuf, un dortoir de 90 lits mais spacieux et bien aménagé : on ne se marche pas les uns sur les autres, comme dans certains autres. Visite de la cathédrale Santa Maria La Real et du cloître, très beaux. Messe à 19 h 30 à la chapelle toute proche ; pas un mot pour les pèlerins, bien que la messe soit annoncée pour eux, et je le comprends : je dois y être le seul ! Dîner dans un petit resto pour pèlerins, j'y retrouve d'abord les copines, Anne et Marie-Pierre, puis une douzaine d'autres nous rejoignent. Dîner sympa, puis vite au lit, chacun dans son gîte. Depuis 17 h, il n'a pas arrêté de pleuvoir, parfois assez dru.

Lundi 28 mars : NAJERA  - SANTO DOMINGO DE LA CALZADA : 21 km.
Départ 8 h, comme d'hab, après un bout de pain trempé dans un quart de thé. Après 4 ou 5 km, les vignes laissent la place au blé ; c'est un peu vallonné, ça ressemblerait un peu à la Champagne. Le chemin est large et bien entretenu, mais la terre ressemble beaucoup à nos rougets, la pluie en a fait une véritable fondrière, on soulève un kg de terre à chaque pas. On passe à côté du Golf de Rioja Alta ; juste après, en pleine campagne, quatre ou cinq ensembles immobiliers, des centaines de villas individuelles toutes neuves, toutes identiques, collées les unes aux autres, toutes inoccupées ; la bulle immobilière espagnole ! Quel gâchis...
Arrivée à Santo Domingo de la Calzada. Excellent accueil au gîte Casa del Santo, tenu par une confrérie, la plus ancienne d'Espagne nous dit-on (l'auberge de l'abbaye cistercienne est fermée). Installation, douche, lessive... puis visite de la cathédrale, très belle, avec entre autres une exposition sur la Passion et la cage du coq et de la poule, pendue dans la nef depuis 800 ans (on les change tous les mois...) Très beau cloître également. Visite de la “reconstitution” du Chemin, accueil très sympa d'une hôtesse passionnée par son job. J'en profite pour rédiger mon journal, mais elle ferme, pas le temps de l'envoyer. Messe, précédée du chapelet, dans la petite chapelle face à l'entrée de la cathédrale. Un prêtre tout jeune, de choc. Prière pour les pèlerins à la fin de la messe ; une fois de plus, j'y suis le seul... Dîner dans un resto indiqué par l'hospitalier ; arrivé à 8 h 10, on me dit qu'il faut attendre 8 h 30 pour le dîner, le premier plat arrive à 9 h 10. Heureusement le reste suit et je peux rentrer à l'auberge avant la fermeture, à 22 h.

La Légende du Pendu Dépendu :
Vers l'an 1200, un jeune et beau pèlerin cheminait avec ses parents. A Santo Domingo de la Calzada, la fille de l'auberge tente de le séduire ; sans succès. Dépitée, le lendemain, elle glisse un vase en or dans sa besace puis court le dénoncer. Le jeune homme est rattrapé, ramené, jugé, condamné et pendu. Ses parents, arrivés à Santiago, sont avertis en songe que leur fils est vivant. Ils retournent à Santo Domingo et supplient le comte de leur rendre leur fils qui est vivant. Le comte, qui est à table, s'esclaffe :"Vivant, votre fils ? Il est aussi mort que cette poule rôtie que je vais manger !" A ces mots, la poule qu'il allait déguster reprend vie. Devant ce miracle, on dépend le pendu, qui reprend vie et repart avec ses parents. On ne sait ce qu'il advint de la fille, mais depuis, en souvenir de ce miracle, un coq et une poule blancs vivent en permanence dans une cage, dans la nef de la cathédrale de Santo Domingo

 

Mardi 29 mars : SANTO DOMINGO DE LA CALZADA – VILLAFRANCA : 35 km.
 Départ à 8 h, je suis bon dernier. Beau mais frais, avec un bon petit vent de face. Je rattrape Anne, bruxelloise, à qui j'ai donné hier une aiguille pour se percer une ampoule ; plaquée par son mari il y a deux ans, elle essaie de refaire surface ; elle marche lentement, je la lâche pour retrouver Dorothée (Thea) d'Amsterdam, enseignante-chercheuse en pédagogie et parcourant le monde pour aider les pays en voie de développement ; jeune retraitée, elle compte se consacrer avec son mari à des travaux à caractère humanitaire.  Nous déjeunons avec Armin le munichois, 20 ans et aucune idée de ce qu'il a envie de faire. Je rattrape aussi Fred et Claudie, puis Barbara et Fernando, mes deux berlinois, 45 ans, très ouverts. Leurs arrêts s'échelonnent à partir de Belorado. Je continue. Tosantos, un gîte, mais pas de lits, des nattes posées par terre : je passe. Villambistia, le gîte est fermé le mardi : dommage. Je continue seul pour Espinosa où le gîte est ouvert, m'a-t-on dit. Arrivée devant le gîte : une masure, sordide. Mais j'ai 31 km dans les pattes ; n'écoutant que mon courage, je sonne la cloche (il n'y a pas de sonnette). Après un bon moment, un vieux apparait dans un sas ; crasseux. Il me tend trois papiers, en anglais, allemand et français, indiquant que dîner + nuit + petit-déjeuner = 16 €. Je suis prêt à accepter, mais j'ai un doute : a-t-il l'électricité ? J'essaie de lui faire comprendre que j'ai besoin d'une prise pour ma machine à respirer : peine perdue, il ne veut rien comprendre. En désespoir de cause, je lui montre mon œil et lui demande à voir la chambre. Il comprend immédiatement et me renvoie aussitôt, dans sa langue maternelle, une bordée d'injures que je comprends parfaitement (je résume) : “ Voir ? Tu veux voir ? Vas te faire voir... Pour voir tu vas à 4 km, à Villafranca, tu verras ; ici, c'est tout vu. Au revoir et buen camino !” Et il referme son sas avant que j'aie eu le temps de le remercier. J'ai donc continué, 4 km de plus, sous la pluie qui commence à tomber. Dur, dur ! Mais ça descend, c'est déjà ça. Arrivée à Villafranca, gîte municipal, très bon accueil ; l'hospitalière monte mon sac au dortoir avant que j'aie eu le temps de réagir, puis prend le linge que je viens de laver pour l'essorer : ça sèchera plus vite. Dîner au bar-resto unique du village : j'y retrouve les deux copines, Anne et Marie-Pierre, ainsi que trois allemands de mon âge que j'ai entrevus plusieurs fois auparavant : Annie, Urban et Hugo. Tous sont logés dans des chambres d'hôtes. Dîner animé, terminé par un verre de liqueur du pays, et au lit. Il pleut quasiment toute la nuit.

Mercredi 30 mars : VILLAFRANCA – BURGOS : 35 + 5 km.
 Il ne pleut plus beaucoup, mais il y a du brouillard et une petite bruine. Changement de décor : on se croirait dans les Vosges, dans une forêt de sapins. Dure montée, assez raide, dés la sortie du village : 200 m de dénivelée, et on arrive sur la ligne de crête, quasiment droite et plate sur près de 10 km. Tellement plate que l'eau ne s'écoule pas : très beau chemin, mais véritable fondrière par endroits. Un peu de pluie, beaucoup de vent, mais ça se calme un peu en arrivant à San Juan de Ortega : une belle église, avec un très beau cloître, au cœur de la forêt. Un vieux curé, paraît-il, accueillait autrefois les pèlerins avec une délicieuse soupe à l'ail ; le curé est mort depuis quelques années ; sa sœur aurait repris la tradition, mais je ne l'ai pas vue ; est-elle toujours là ? Je dois me contenter d'un thé bien chaud et d'un sandwich au bar voisin. Je repars, le temps se dégage, le vent se calme ; on voit même le soleil un court instant. On sort de la forêt, je passe Agès et Atapuerca, car 4 gîtes sont annoncés dans les villages suivants et je veux me rapprocher suffisamment de Burgos pour ne plus avoir, demain matin, qu'une courte étape à faire pour y arriver et avoir ainsi le temps (et la force) de visiter la ville l'après-midi. Dommage : tous les gîtes sont fermés et il n'y a plus, dans le dernier village, qu'une chambre d'hôtes qui m'est proposée à 35 €, sans petit-déjeuner. Je n'ai même plus 35 € sur moi ! Je continue donc, il ne me reste plus qu'à faire les 11 km qui me séparent de Burgos : aucun gîte avant. Je contourne l'aéroport par le nord et entame les zones industrielles : épouvantable ! un trottoir étroit et en mauvais état, des carrefours à contourner, des camions à éviter… Je suis crevé, il est 18 h,  je décide d'être "raisonnable", j'abandonne et prends le bus pour faire les 5 derniers km. Ca me fait tout-de-même deux étapes de suite de 35 km ! Arrivée au centre-ville, passage rapide à l'Office de Tourisme, j'ai tous les renseignements utiles pour ce soir et demain. Installation à l'auberge municipale, grande, toute neuve, parfaitement aménagée et adaptée aux besoins des pèlerins, accueil à la fois souriant et efficace : un régal. Messe à la cathédrale à 19 h 30, 3 tapas dans un bar voisin, et au lit ! J'apprendrai le lendemain que le chemin qui passe au sud de l'aéroport, un peu plus long, longeant la rivière, est parfaitement aménagé et de toute beauté.

Jeudi 31 mars : BURGOS;
 Repos complet aujourd'hui, c'est décidé ; il faut malgré tout quitter l'auberge avant 8 h, mais je peux y laisser mon sac. Je vais me promener. Montée au Château, très beau panorama sur la ville au lever du soleil. Petit déjeuner rapide ; j'essaie de trouver le bus pour aller visiter le monastère de Miraflorès, à 5 km ; un gars très gentil m'amène d'autorité à la gare routière… dommage, le bus ne partait pas de là, je l'ai loupé. Tour de ville tranquille, il fait très beau, je reste un long moment assis sur un banc, au soleil, à regarder les passants. J'achète un mini-dictionnaire de poche, j'avais eu le tort de ne pas en emporter. La ville est belle et animée, après 10 h. Visite de la cathédrale, du cloître et du musée, j'y reste près de 2 h : splendide. Je m'installe pour déjeuner à la terrasse d'un café sur la place Santa Maria, la place de la cathédrale ; Dorothée, puis les deux copines, passent par là par hasard et viennent m'y rejoindre. Après-midi, je pars visiter le Monastère Real de las Huelgas, à l'ouest de la ville ; la guide, très intéressante, trouve le temps de me donner des explications en français. Retour à l'auberge, je m'installe à l'ordinateur. A 19 h, Anne de B. me propose d'aller dîner avec quelques autres pèlerins : 16 convives, 9 nationalités ! Mais à 21 h 30, au lit…

Vendredi 1er avril : BURGOS – HORNILLOS DEL CAMINO : 20 km.
Temps splendide ; départ à 8 h, petit-déjeuner avec Anne, puis nous nous quittons : elle reste à Burgos. Parcours joli le long de la rivière, puis assez moyen dans une zone industrielle. Je rattrape Kris, 24 ans, du Michigan ; agent d'entretien, il souhaite changer de métier mais ne sait pas quoi faire ; il marche avec une moustiquaire pour se protéger (il est vrai que nous sommes dans une zone marécageuse, mais je n'ai pas senti un seul moustique) et semble souffrir ; on marche une petite heure ensemble, puis je le quitte. On longe des autoroutes, une ligne TGV, des échangeurs en construction, une immense zone industrielle aménagée mais vide… Enfin, la campagne ; ravitaillement à Rabé de las Calzadas, je marche seul quasiment tout le reste de l'étape, sauf un moment avec Ingrid et Maria, de Thuringe, mon âge et une bonne forme. On est sur un plateau, parfaitement plat, du blé partout : on se croirait en Beauce, si on ne voyait pas des montagnes enneigées, très loin, tout autour de nous : très beau. Arrivée au gîte, à Hornillos del Camino, à 14 h (20 km), nous sommes déjà 8, nous serons 25 ce soir à y coucher. Longue conversation avec Kelly, de Cambridge, spécialisé dans les soins pour enfants autistes et récemment retraité ; ouvertement athée et fier de l'être ; végétarien (conviction ou snobisme ? je ne saurais dire) ; il ne comprend pas que j'aie pu être chasseur-bombardier nucléaire et chrétien ; la réponse est pourtant simple : "Si vis pacem, para bellum". Dîner tôt, 18 h 30, au seul resto du village, tenu apparemment par la mère de notre hospitalière, une maîtresse-femme digne d'être appelée "la mamma". Une table de quatre, avec Kelly et deux français, la soixantaine, de Moutiers ; une table de 3 françaises à côté ; tous les autres se font leur cuisine à l'auberge. Il fait tellement beau que je reste jusqu'à 20 h 30 dehors, à voir tomber la nuit. Dans le ciel, échelonnés par patrouille de deux toutes les minutes, je compte 26 avions de combat qui traînent dans le ciel, cap au sud. De l'Angleterre vers Madrid ? Libye ? Quand je rentre au dortoir, tout le monde dort déjà.

Samedi 2 avril : HORNILLOS DEL CAMINO  - ITERO DE LA VEGA : 31 km.
Départ parmi les derniers, comme d'habitude. Le temps s'est un peu couvert. Je marche parfois avec l'un ou l'autre, au hasard des haltes, mais le plus souvent seul. J'en vois plusieurs qui ont couché à San Bol, tout petit refuge à 5 km de toute maison habitée : ils y ont été comme des rois. Ravitaillement à Hontanas, puis repas, solitaire jusqu'à ce que Kris vienne me rejoindre, devant une église à l'entrée de Casteljeriz, très belle mais fermée… Je reprends la route ; dure montée pour arriver au sommet de l'Alto de Mostelares ; sur 360°, un plateau parfaitement plat en apparence, avec, à l'horizon, des montagnes, certaines enneigées, que j'évalue entre 100 et 200 km de distance. Grandiose ! Descente brutale de l'autre côté : le chemin a été cimenté et est autorisé aux voitures, la pente est de 18 % sur 350 m : impressionnant. Joli pont pour traverser le Rio Pisuerga ; ici, les crues doivent être brutales et tout emporter, à voir la façon dont le pont a été maintes fois fait et refait. Je rencontre Adrian, hongrois, artiste : guitare basse et poèmes. Arrivée au gîte de Itero de la Vega : 31 km. Nous serons 4 dans le dortoir de 12 places cette nuit : Armin, Adrian, Lina, germano-portugaise de 25 ans, blonde et mignonne, portant un sac de 15 kg pour sa garde-robe impressionnante et poursuivie par les avances d'Armin, et moi. Je prends le menu pèlerin, les autres ont leurs sandwiches. Couché à 20 h 30, il tombe quelques gouttes.

Dimanche 3 avril : ITERO DE LA VEGA  - VILLALCAZAR DE SIRGA : 29 km.
Je suis réveillé à 6 h 30 par les 3 autres. Départ à 7 h 10, l'aubergiste m'a dit que j'aurais une messe à 11 h 30 à Fromista. Le bar est fermé, mais j'espère avoir un p'tit déj à Boadilla, à 7 km. Il fait nuit noire, il tombe encore quelques gouttes ; je tourne un moment dans le village pour trouver le chemin ; je suis enfin dans la Calle del Camino de Santiago, mais suis-je dans le bon sens ? Une seule lueur de grande ville à l'horizon, elle est à mes 7 heures : ça ne peut être que Burgos, à 60 km ; je suis donc dans le bon sens, inutile de sortir la boussole. Le chemin est très bon, bien damé, pas besoin non plus de lampe de poche. Et petit à petit, le jour se lève. Arrivée à Boadilla à 8 h 45, tout est fermé, rien ne bouge ; sauf un paysan qui nourrit ses bêtes et me confirme que pour déjeuner, je ferais mieux d'aller à Fromista. Je rattrape deux françaises, mon âge, d'un groupe de 7 avec voiture-bagages ; ils étaient à l'auberge à Boadilla et, comme moi, se sont passé de déjeuner. On longe le Canal de Castille, très joli. A Fromista, 10 h 20, devant la première église, un groupe important qui entre ; serait-ce la messe ? "Non, señor, c'est une visite guidée avec film en espagnol, c'est 2 € pour entrer". Deuxième église, San Pedro, l'église paroissiale ; le curé, tout petit, presque aussi vieux que son église du XIIIème siècle, me dit qu'il est seul prêtre et bien vieux, qu'il ne dit qu'une messe à 13 h (l'heure du réveil des espagnols le dimanche ?), me souhaite buen camino, me bénit mais ne dit pas une messe spécialement pour moi… Impossible d'attendre la messe de 13 h, Dieu me pardonne ! je repars donc. Il pleut toujours un peu avec du vent ; il vaut mieux marcher que rester immobile. Je prends quand même un grand thé et deux croissants espagnols (5,60 € !) avant de repartir.
            Et c'est reparti ! Sur 20 km, de Fromista à Carrion de los Condes, la route est toute droite et toute plate ; le chemin longe la route, il est très bien entretenu ; tout autour, c'est plat comme la main : la Beauce ! Et curieusement, on ne s'en lasse pas ; enfin, pas trop. C'est cela, aussi, le chemin… Déjeuner, à l'abri d'un abribus, avec un espagnol, 40 ans, très ouvert et parlant français, qui a pris 4 jours pour faire un bout de chemin ; il me donne quelques nouvelles "fraîches" : la Libye, le Japon…
            Arrivée à Villalcazar de Sirga à 15 h : 29 km. Il y avait une messe à 13 h : trop tard. Curieux, je suis seul au gîte municipal. Pas de chauffage, c'est un peu dommage par ce temps, mais au moins, la douche est chaude… à condition de donner un euro à Miguel, l'hospitalier, qui vous ouvre l'eau chaude pendant 10 minutes… Petit tour du village, je découvre une autre auberge, où sont installés le groupe de 7 à voiture et les deux savoyards. Visite de l'église, assez belle ; passage au gîte, où une allemande, Sonia, 63 ans et qui souffre de partout, m'a rejoint. Je repars dîner à mon auberge et suis couché à 21 h.

Lundi 4 avril : VILLALCAZAR DE SIRGA  - LEDIGOS : 29 km.
Départ à 8 h, après le p'tit déj en compagnie de Sonia et de Miguel. Il fait beau mais froid, mais le soleil va chauffer rapidement. Il n'y a pratiquement plus de neige sur les montagnes, au nord (la Cantabrie ?) Toujours le chemin le long de la route. Le Camino emprunte en fait, ici, l'antique Via Aquitana et nous traversons la région Tierra de Campos : la Champagne. Pas grand-chose à Carrion de los Condes, qui dort encore ; tout est fermé, y compris le monastère de San Zoila, qui a l'air très beau. Après Carrion, la route nous quitte, on marche sur l'ancienne voie romaine transformée en chemin agricole, très bien revêtu. Peu de marcheurs. Je retrouve, les uns après les autres, les membres du groupe de 7, déjeune avec une partie du groupe, en profite pour récupérer mon porte-cartes bêtement oublié hier soir au resto. De Calzadilla de la Cueza à Ledigos, un peu de relief, c'est moins monotone.
            Arrivée au gîte à Ledigos à 16 h : 29 km. J'y retrouve nos deux savoyards ainsi qu'un couple de norvégiens, Ulla (lui) et Gudi (elle), la soixantaine, bons marcheurs et sympathiques. Le dos commence à me faire assez mal, quand je marche mais aussi et surtout à l'arrêt, quand je m'assieds. Je prends deux Dafalgan, j'espère que ça va passer, je ne me vois pas faire le tiers restant du chemin avec cette douleur.
            Dîner avec mes deux savoyards, on parle ski et vignes, ils sont en fait de Méribel. Ils ont pris (ou on leur a donné, sans leur laisser le choix) une chambre à deux lits : 9 € par personne, au lieu de 6 dans le dortoir… où je serai seul à coucher. Après le dîner, ils m'offrent un peu de génépi : fort bon !
            La nuit, il faut sortir pour aller aux toilettes ; le ciel est magnifique, les étoiles brillent comme on le voit rarement, quelquefois seulement en montagne, quand l'air est très pur.

Mardi 5 avril : LEDIGOS  - BERCIANOS DEL REAL CAMINO : 27 km.
L'aubergiste nous a promis le p'tit déj à 8 h ; à 8 h 15, c'est toujours fermé, nous partons. P'tit déj 3 km plus loin, à Terradillos de los Templarios, avec mes norvégiens : très bon ; pour 3,20 €, j'ai la même chose que pour 5,60 € à Fromista. Re-départ ; le dos recommence à me faire bien mal. Je réalise que c'est sans doute le sac à dos qui est mal réglé ; pourtant, je n'ai pas changé le réglage depuis le départ de Villaudric. Je demande conseil aux norvégiens ; Gudi, aussitôt, m'explique que si je veux soulager les épaules, et donc le dos, il faut que ce soit les hanches qui portent le poids : il suffit donc de serrer la sangle ventrale au-dessus des hanches, ce que je ne faisais pas. Ca change tout : merci,  Gudi !
            Il faisait frais ce matin, mais dés que le soleil est sorti on a tombé veste et polo. Que c'est bon ! Le chemin est plat mais moins monotone ; par contre, l'autoroute est souvent proche, quel bruit… Je rencontre encore le groupe des 7, toujours en ordre dispersé.
            Un peu avant Sahagun, on fait un détour pour voir un pont romain et surtout une jolie petite chapelle, "de la Vierge du Pont", fermée mais en cours de rénovation. J'y échange quelques mots avec Elise, française, 80 ans ?, distinguée, délicieuse ; quand nous nous quittons, elle s'excuse de ne pas m'accompagner : "Je marche lentement, je ne vais que jusqu'à Sahagun aujourd'hui ; hier j'ai fait 27 km" !
            Traversée de Sahagun, sans y voir grand-chose. Déjeuner, seul, à l'ombre d'une petite église. En repartant, j'oublie de faire le plein d'eau ; 2 km après Sahagun, la gourde est vide, mais le soleil cogne et il reste encore 8 km à faire… J'ai du mal. Arrivée à Bercianos del Real Camino à 16 h : 27 km.
            Le gîte est très accueillant, tenu par deux hospitalières bénévoles, Ana et Ana (ça facilite !), la quarantaine, volubiles, l'une uniquement en espagnol, l'autre pratiquant un peu l'anglais : on s'arrange… Je retrouve Gudi et Ulla, mes deux norvégiens, Sakiko, une japonaise globe-trotter, la quarantaine et un pied très abimé mais un moral d'acier, Simon, un jeune coréen qui marche lentement mais longtemps, et Juan et Paco, deux espagnols. Il fait beau et chaud, on se prélasse au soleil ou à l'ombre ; rien à voir dans le village, mais les Ana(s) invitent le quartier à "faire la brochette" sur le banc, devant le gîte. Elles préparent le dîner pour tous ; je propose d'aider et me retrouve à la pluche ; une seule patate par personne, j'ai peur que cela ne suffise pas, mais si… Bonne ambiance pendant le dîner, qui se prolonge avec beaucoup de rires. Puis les Ana(s) proposent la prière ; la pièce centrale du gîte a été aménagée en chapelle, où nous nous retrouvons à 8, (Simon est monté se coucher) pour un vrai moment de prière, fervente et communautaire, principalement en espagnol et en anglais avec traduction.

Mercredi 6 avril : BERCIANOS DEL REAL CAMINO  - MANSILLA DE LAS MULAS : 27 km.
Tout le monde est debout à 7 h, sauf Simon qui reste couché, il est crevé. P'tit déj tous ensemble à 7 h 30, puis les départs s'échelonnent : les norvégiens en taxi vers Léon, car ils doivent brûler les étapes ; les espagnols et moi à pied, les autres suivront.
            Déjà un mois que je suis parti ! Je n'ai pas vu le temps passer. 8 h 15, il fait déjà chaud, le soleil va cogner. De nouveau le chemin qui longe la route sur laquelle il ne passe personne, l'autoroute non loin que l'on entend fort, beaucoup de travaux… Petit bout de chemin avec Juan et Paco, mais le plus souvent seul. C'est plat comme la main ; deux villages seulement sur les 27 km de l'étape, sans intérêt. Déjeuner dans le deuxième, sur une petite place avec une fontaine ; casse-croûte habituel. Après le déjeuner, en repartant, je rattrape Sakiko, qui traîne un pied en marmelade mais qui a tout de même bien avancé ! Je fais un bout de chemin avec elle, mais elle me force à l'abandonner : elle veut pouvoir s'arrêter souvent, quand elle en a envie, sans me gêner. Toujours le même chemin tout droit, peu motivant ; c'est cela aussi, le Camino !
            Arrivée au gîte municipal, à Mansilla de las Mulas. Pas d'hospitalier, on s'installe, tout est parfait mais bien vieillot. Petit tour "en ville" ; seul le pont est intéressant, une douzaine d'arches pour deux "utiles" en temps normal ; les crues doivent être importantes, comme sur toutes les rivières de ce plat pays.
            Sakiko arrive vers 17 h, elle envisage d'interrompre son camino, mais a du mal à se décider. Dîner rapide avec Yves et Hilda. Yves, de Caen, souhaitait faire le chemin en patinette mais il a fait aujourd'hui, pour sa première étape, une chute sérieuse, peut-être le poignet cassé ; je ne suis pas spécialiste de la patinette, mais je ne vois pas comment on peut faire le camino avec : impossible sur du chemin, très dangereux sur les routes très fréquentées… surtout avec un sac de 10 kg sur le dos, qui déséquilibre… Hilda, hollandaise, la quarantaine, infirmière, sportive et solitaire mais sympa ; elle conseille vivement à Yves de se faire radiographier dés que possible. Je les quitte vite pour la messe de 20 h 30. Comme d'habitude : je suis le seul homme et le seul pèlerin, une quinzaine de femmes au moins de mon âge presque toutes assises sur les bancs du fond, pas un mot du prêtre en-dehors du "texte officiel" de la messe, pas un sourire. C'est bien Nietzsche, je crois, qui a dit : "je me ferais bien chrétien si vous aviez l'air un peu plus sauvés" ?

Jeudi 7 avril : MANSILLA DE LAS MULAS  - LEÓN : 20 km.
Encore une fois, je suis presque le dernier. Adieu ému à Sakiko, qui a décidé d'interrompre et de rentrer au pays. Il fait beau et déjà chaud, malgré une petite brume : je pars en T-shirt. Le sac à dos est maintenant à peu prés réglé car j'ai moins mal au dos. 10 km avec le même chemin parallèle à la route, très passante et très bruyante, mais ça passe vite. J'appréhende les faubourgs de Léon, dont on m'a dit beaucoup  de mal. Je suis très heureusement surpris : le chemin est suffisamment à l'écart de la route et de l'autoroute, on a vraiment trouvé le moins mauvais tracé possible… Avec Hilda, nous nous rencontrons 5 ou 6 fois dans la matinée, lors de la halte de l'un ou de l'autre, mais sans jamais rester ensemble ; comme je suis assis derrière un pont d'autoroute en construction et que je lui dis que le paysage est vraiment affreux, elle me fait remarquer : "Oui, mais tellement silencieux". C'est vrai, à cet endroit, on n'entend rien.
            Arrivée à León à 12 h. La ville est bien, sans plus, à part le centre où il y a quelques belles places et de jolies petites rues ; arrivée au Monastère des Bénédictines, où j'étais il y a 4 ans ; accueil très gentil des hospitaliers volontaires, tout est prévu. Le dortoir de 50 places n'a pas changé. Douche, lessive… et je m'offre un menu du pèlerin pour déjeuner. Départ vers la cathédrale, je croise Filippo, qui me dit que les copines sont un peu plus loin, à une terrasse, et espèrent me voir : elles prennent le bus pour Genève deux heures plus tard. Je les retrouve ; adieux émus : nous avons passé de longs moments à cheminer ensemble… Je vais ensuite visiter la cathédrale, bien plus simple et plus pure que celle de Burgos, avec de splendides vitraux. Petit tour en ville, les remparts, San Isidoro, puis petite sieste. Messe à 19 h à la chapelle du monastère : une vingtaine de sœurs, 5 ou 6 paroissiennes, 1 pèlerine allemande et toujours pas un sourire. Rédaction de mon journal à la terrasse d'une taberna, sur la place Santa Maria, suivie du menu du pèlerin, et je traverse la place pour rentrer à l'auberge ; une sœur est là, nous échangeons quelques mots, enfin des sourires…

Vendredi 8 avril : LEÓN – VILLAR DE MAZARIFE : 25 km.
"Desayuno" au couvent avant de partir, nous sommes une bonne quinzaine attablés. Départ à 8 h, la ville s'éveille doucement. Je suis parti avec Inge et Vleschska, deux tchèques sportives, la quarantaine, ouvertes et sympa ; Inge mère de deux garçons et globe-trotter (pour son job ? je ne le saurai pas, mais elle connaît de nombreux pays) et Vleschska ingénieur agronome, célibataire. Nous marchons ensemble toute la matinée, ce qui est exceptionnel, en parlant de tout et de rien, en anglais avec quelques mots d'allemand. Le temps est magnifique, juste un léger vent pour rafraîchir. Passage devant San Marcos, très bel édifice, puis faubourgs et zone industrielle ouest, bien décevants ; heureusement, c'est le début de l'étape, on supporte mieux !
            A la Virgen del Camino, nous rattrapons Filippo et Armin, aux prises avec deux coréennes, Tsian et Narra. Tsian a perdu son téléphone, peut-être oublié à l'auberge. Je suggère d'appeler son numéro, peut-être quelqu'un répondra-t-il ? On me dit que c'est déjà fait. On appelle l'auberge, ils n'ont rien trouvé. On rappelle son numéro… le téléphone sonne dans le sac ! Tsian, qui est redevenue coréenne (une coréenne sans son téléphone n'est plus une coréenne), a gagné le droit d'offrir une tournée générale de café au prochain bar, où nous accueillons progressivement ceux qui nous suivent sur le chemin : David, puis Paolo, puis Fernando et Barbara… on se trouve vite une quinzaine, à marcher plus ou moins ensemble, c'est la première fois. David, de San Francisco,53 ans, est trader ; à chaque borne wifi, il sort son ordinateur et achète et vend des actions !  Le paysage a changé : depuis Léon, les terres sont bien moins riches, les landes alternent avec des terres maigres et quelques prés. A la Virgen del Camino, nous avons tous pris un itinéraire secondaire, un peu plus long, mais éloigné de la route et de l'autoroute : c'est le calme, c'est le bonheur ! On marche sur du chemin ou de la petite route, très calme. On passe par Fresno del Camino, Raneros et Chozas de Abajo.   Là, de nouveau, on se retrouve tous ensemble dans un bar pour déjeuner. On rencontre Yves : il a le poignet dans le plâtre, des os de la main sont cassés, mais il continue avec sa patinette ; quel courage ! Nous repartons, échelonnés, vers le gîte le mieux adapté à notre étape : Villar de Mazarife, 4 km plus loin. Je rattrape Michelle, d'Albertville, mon âge, qui termine un camino interrompu l'an dernier pour cause de blessure.
            Arrivée à 14 h. On nous a recommandé l'Albergue de Jésus : ça vaut le coup ; accueil sympa, chambres standard, sanitaires très propres, jardin, tables et parasols, piscine (vide en cette saison, hélas ! car il fait 28 ° cet après-midi), lavoir et étendoir, repas ou cuisine sur demande, nombreuses pièces pour s'asseoir ou s'isoler… le tout pour 6 €. Nous avons bien fait de prendre l'itinéraire secondaire. Installation, douche, lessive, après-midi de farniente et sieste sur l'herbe. Dîner avec Michelle et Jeff et Nell (Cornelia), couple de hollandais de notre âge. Bonne nuit.

Samedi 9 avril : VILLAR DE MAZARIFE  - ASTORGA : 30 km.
Temps splendide de nouveau. Après un bon desayuno, départ de nouveau en compagnie d'Inge et Vladka (je rectifie l'orthographe) ; elles sont bonnes marcheuses, on ne traîne pas en route. Toujours le plat pays, mais on recommence à voir des champs de blé étendus et des rigoles d'irrigation ; c'est d'ailleurs impressionnant de voir les énormes travaux qu'ont faits les espagnols, au cours des siècles, pour recueillir et distribuer l'eau : lacs artificiels, canaux, rigoles. Vladka ne cesse de prendre des photos, "pour son boss" ; l'agriculture, chez elle, est tellement différente ! Les tchèques n'ont nul besoin d'irrigation, dit-elle. A Puente de Orbigo, halte "familiale", on se retrouve une bonne douzaine de pèlerins. Bonne ambiance. Comme dit Filippo, qui a déjà fait quatre fois le camino, "plus on approche de Santiago, plus on se croit à Disneyland". Passage sur le Puente Viejo de Hospital de Orbigo, en réfection, et le décor change encore : on entre dans la colline, on quitte la route pour un joli chemin caillouteux qui serpente dans les bois. Déjeuner à l'ombre d'un gros chêne (le dernier de l'étape ?), on reprend le chemin, on est sur un plateau dénudé, le vent est quasiment tombé, on terminerait  l'étape avec 30 ° à l'ombre s'il y avait de l'ombre ! Dur ; pourtant, on n'est que début avril… Belle vue sur Astorga en arrivant, malgré la brume. Accueil peu sympathique, par contre, de la ville : on nous fait faire des détours inutiles dans des faubourgs sordides, cela ressemble à du sadisme.
            Arrivée vers 17 h au refuge municipal, à l'entrée de la ville, très bien installé. Je pars, à tous petits pas, visiter la cathédrale ; il faut payer 2,50 €… mais elle mérite la visite. Messe au couvent voisin à 19 h : toujours la même ambiance, triste et individualiste ; en sortant, je vois que les religieuses du couvent ont assisté à la messe derrière des grilles, au fond de l'église ; je ne les avais pas vues avant. Retour à l'auberge en passant par une supérette pour prendre le dîner. La ville n'offre pas beaucoup d'intérêt. Dîner avec quelques allemands, dont Dominick et Simone, tout jeune couple touchant : ils n'ont pas arrêté de se donner la main, pendant la journée, sur le chemin. Dîner de gala : moules à l'escabèche,  calamars farcis, mini-dégustation de vins du pays.

Dimanche 10 avril : ASTORGA – RABANAL DEL CAMINO : 20 km.
P'tit déj à l'auberge. Très vite, on quitte les pays civilisés pour entrer dans la colline : le chemin suit une route minuscule sur laquelle il ne passe personne, au moins le dimanche. Le temps est très agréable, beau soleil et léger vent rafraîchissant ; le cadre est magnifique avec les chaînes des Monts du León enneigées au fond. Je marche souvent seul, parfois avec l'un ou l'autre. Je ne reverrai plus Inge et Vladka, elles doivent arriver à Santiago le 19 au plus tard, elles ont dû accélérer leur cadence.  Déjeuner au soleil, ça se supporte. Arrivée à Rabanal del Camino vers 14 h 30, je cherche le refuge municipal, il est fermé, mais l'auberge Nuestra Señora del Pilar me tend les bras. Accueil très sympa, tout est bien aménagé et agréable. Après-midi cool. On nous a annoncé un concert de grégorien à l'église à 19 h : il s'agit des vêpres, chantées par trois moines : bien ! Retour à l'auberge, dîner avec une empanada, sorte de sandwich au thon avec une espèce de ratatouille, pas mauvais mais un peu bourratif, suivi d'une omelette aux pommes de terre : je suis calé. Nuit tranquille dans un dortoir vaste et bien aéré.

Lundi 11 avril : RABANAL DEL CAMINO  - MOLINASECA : 25 km.
Journée de rêve, temps magnifique, sentier de montagne toute la journée, paysage splendide. Je marche seul une partie de la journée, puis je retrouve Dorothée : blessée au pied, elle a eu droit à 3 jours de repos forcé à León, pris un bus pour rattraper 4 étapes et reprend doucement le rythme, en boitillant, mais sans son sac. Je croise aussi Domzin, coréenne, la cinquantaine, solitaire, petits pas. Je retrouve Brigitte et Nelly, bretonnes, mon âge, bonnes marcheuses, sympas; nous restons une bonne heure ensemble. Déjeuner avec Dorothée et Domzin à une terrasse de café. Une fois passé le col et la Cruz de Ferro (sans intérêt, sauf d'être le point le plus haut du Camino Francés), la végétation a changé, c'est vraiment la Provence, thym, romarin et lavande en fleurs, genêts, bruyère, cistes, ça sent bon. Descente raide et fatigante. Arrivée à Molinaseca à 16 h, on ne s'est pas pressés : 25 km. Les trois derniers villages traversés, Acebo, Riego de Ambros et Molinaseca, sont de toute beauté : vieilles maisons en bois, balcons, rues étroites, de vrais villages de montagne. Le menu de l'auberge ne me tente pas (lentilles et macaronis), je vais dîner dans le village et tombe sur Anne S., pas revue depuis León. Embrassades ; elle sort de table mais me tient compagnie pendant mon dîner : salade garnie, escalope St Jacques avec œufs et frites, je préfère. On se quitte, chacun rejoint son auberge ; je passe dans une épicerie pour le repas de demain.

Mardi 12 avril : MOLINASECA  - PIEROS : 30 km.
Petit souci pendant la nuit : ma gourde, peut-être mal fermée, s'est vidée dans mon sac à dos par terre, avec toutes mes affaires dedans ou à côté ; tant bien que mal et sans allumer, je fais le tri de ce qui est mouillé et de ce qui ne l'est pas : il vaut mieux avoir du sec pour partir le matin. Au petit jour, je termine le tri : pas trop de dégâts. Départ à 8 h ; route et banlieue jusqu'à Ponferrada,  où tout est encore fermé. Beau château, belle église, assez jolie ville. Détour par la zone commerciale pour trouver un magasin de sport : un copain (ou un gamin) m'a pris mon T-shirt XXL et laissé le sien, S. Même après 35 jours de marche, j'ai du mal à l'enfiler. J'essaie de récupérer le camino au plus court, ça me fait tout de même un détour de 6 km, mais j'ai pu trouver le T-shirt Quechua qui va bien. Retour sur le chemin, plusieurs très jolies chapelles sur le parcours. Quelques pas avec Anna, notre hongroise sportive ; un peu plus avec Gilles, le copain de Marie-Astrid, qui marche bien plus lentement qu'elle et se fait régulièrement distancer. Paysage de banlieue, petits jardins d'asperges, de pommes de terre et de fruitiers. Déjeuner d'abord avec Dominick et Simone, puis avec Domzin, enfin avec Gilles et Marie-Astrid, sur l'aire de repos de Camponarava, où nous avions débuté une étape en 2007. Ensuite, on se retrouve en plein vignoble, des parcelles minuscules, beaucoup sont à l'abandon, mais très beau paysage ; un vignoble, semble-t-il, qui a eu son heure de gloire mais n'a peut-être pas su se restructurer. Passage à Cacabelos,  avec son aire de pique-nique, sa belle chapelle Saint Roch – Sainte Lucie, son énorme pressoir et sa belle église. Mais le seul gîte du village est fermé, il faut continuer… Je m'arrête 2 km plus loin à Pieros, un gîte tout neuf et à peine signalé ; j'y suis seul. Pas longtemps : arrivent successivement Domzin, puis Teresa et sa fille Fiona, deux californiennes, 45 et 15 ans ? difficile à dire ; puis Anne S., puis Kris, du Michigan, et Christian son copain allemand, et enfin Kurt et Georg, deux allemands. Le patron a apparemment fait seul ou presque tous les travaux d'aménagement, qui continuent. Surprise : il est végétarien et met ses hôtes à son régime. Mais comme il n'y a rien d'autre dans le hameau… un peu de verdure avec deux rondelles d'œuf, un brouet de haricots, il n'y a pas de quoi remplir le ventre d'un honnête pèlerin qui a fait 30 km dans la journée… On se couche tôt.

Mercredi 13 avril : PIEROS – VEGA DE VALCARCE : 25 km.
Lever matinal, départ à jeun (notre hôte végétarien ne nous a rien préparé) à 7 h 10. Petite halte au sommet d'un coteau pour admirer le lever du soleil, à 8 h : quel beau spectacle ! On est en plein vignoble du Bierzo, les vignes ici sont parfaitement entretenues. Je rattrape Domzin un peu avant Villafranca del Bierzo, ravissant village mi-vigneron, mi-montagnard, où nous avions fait étape en 2007. Belle chapelle romane (fermée), château en ruines… Nous prenons le p'tit déj au premier café sur la place, avec Domzin. Beau pont à la sortie du village. Un peu plus loin, je rattrape Anne et Dorothée, qui se sont retrouvées ; Dorothée continue à marcher, sans sac mais assez vite car ses pieds guérissent, malgré tout. On a quitté brusquement le vignoble pour s'engager dans la montagne, la montée vers O Cebreiro. On marche sur l'ancienne route, qui serpente autour de la nouvelle route, de l'autoroute et du torrent ; très joli malgré le béton, et moins pénible que les cailloux pour les pieds de Dorothée. Le trafic est quasi-nul sur notre route, très faible sur les deux autres voies. Le bruit du torrent est agréable, le temps merveilleux. Pause-repas dans un petit resto tenu par deux hollandais : excellent sandwich thon-poivron, ça cale. On reprend le chemin, c'est une étape courte ; arrêt-boisson, on retrouve Lina et Amada, jeune espagnole, qui repartent avant nous. Arrivée à l'étape à Vega de Valcarce à 14 h 30 : 25 km. Dorothée va vers sa chambre d'hôte réservée, Anne et moi vers le gîte communal, où nous sommes accueillis par un groupe de 11 belges, 10 femmes et un homme, bien sympas. Visite rapide du village, sans grand intérêt, sauf l'église, ouverte et jolie. Dîner à 3 dans un petit resto, à côté de Françoise et José, deux autres savoyards. Pas très loin du village, la colline est en feu : querelle de chasseurs ? de voisinage ? les villageois regardent l'incendie, placides ; au bout de deux heures, on voit passer deux petits véhicules-incendie. Au lit à 21 h.

Jeudi 14 avril : VEGA DE VALCARCE  - ALTO DO POIO : 21 km.
Petits soucis au réveil : 1ères toilettes, ni papier, ni chasse d'eau ; 2èmes, pas de lumière ; à l'étage du dessous, chance ! il reste un peu de papier. Petit déj rapide et on reprend la route, toujours à 3, à 7 h 15. Le feu, dans la colline, brûle toujours. Dés le départ, on est dans un très joli sentier, dans le lit du ruisseau : le rêve. Lever du jour, lever du soleil : c'est beau. Magnifiques paysages sur le Léon, derrière nous. On monte, tranquille, parfois un peu dur, sur le sentier. SMS de Mireille, qui prépare les "Mamies aux fourneaux" : "Je suis crevée." Pour une fois, c'est moi qui peux lui dire : "Ne te fatigue pas trop".
Arrivée à O Cebreiro à 11 h 05. Coup d'œil sur le col et le monument, puis sur l'église. Coup de chance, à 11 h 20, une messe commence, pour un petit groupe de 8 espagnoles ; à la fin de la messe, nous sommes une bonne vingtaine, rien que des pèlerins ; et nous avons droit, dans cette belle chapelle du monastère transformé en hôtel ***, à la bénédiction des pèlerins, en bonne et due forme et bien méritée. Casse-croûte sorti du sac, avec une bonne bière sortie de la taverne voisine. On repart tranquillement vers 13 h 30. Partie sentier, partie chemin en bord de route, mais toujours très beau paysage ; on a maintenant quitté la région de Castille y Léon pour entrer en Galice. On longe quasiment la ligne de crête. Petit vent frais qui rafraîchit, on est quand même à 1 300 m. Arrivée à notre auberge à Alto de Poio à 16 h : 21 km, après deux raidillons assez sévères. On y trouve Karen et Kerstin, mère et fille, deux allemandes de Stuttgart, avec Benoît et José, deux montpelliérains. Les quatre ont décidé de rester ensemble jusqu'à Santiago, bien que les conversations ne soient pas toujours faciles : les allemandes ne parlent qu'allemand (la fille quelques mots d'anglais), Benoît que le français, José que le français et l'espagnol, ils ont acheté un mini-dictionnaire français-anglais pour échanger quelques mots ; la mamma de l'auberge ne parle qu'espagnol, José essaie de faire toutes les traductions ; on arrive toujours à se comprendre, sur le camino… Tous les quatre dinent à l'auberge, Anne et moi allons rejoindre Thea à l'auberge en face, de l'autre côté de la route  (il n'y a que ces deux maisons au col d'Alto de Poio) où  Thea a sa chambre et où nous retrouvons Françoise et José, nos deux savoyards. Dîner copieux et animé, servi par l'aubergiste qui s'est enfin déridé.

Vendredi 15 avril : ALTO DO POIO – CALVOR : 27 km.

P'tit déj à 7 h, départ à 7 h 30, le jour se lève. Joli sentier, parallèle à la route mais bien séparé d'elle. Toujours un temps magnifique, mais un peu plus frais, avec un léger vent de face. Anne et moi rejoignons Françoise et José, mais ils vont vite et nous nous laissons distancer : ils vont ce soir jusqu'à Sarria et doivent ensuite arrêter leur chemin pour rentrer chez eux. A 10 h 30, à Triacastela, nous retrouvons Thea qui s'est fait soigner au Centro de Salud : elle a le droit de continuer à marcher et va donc rester avec nous. Nous décidons de ne pas prendre le nouveau tracé du Camino, qui longe la route et passe par le Monastère de Samos, dont on nous a dit qu'il ne présentait pas d'intérêt, mais de prendre le tracé traditionnel, plus au nord, par San Xil et Pintin. De nouveau un très joli sentier, en montée cette fois, vers San Xil. Casse-croûte dans l'herbe, au soleil pour Thea et moi, à l'ombre pour Anne, dont la peau ne supporte pas le soleil : elle est toujours couverte comme St Georges. Petite sieste, puis on reprend le chemin, en descente cette fois. Arrêt-bière à Pintin, où Thea a retenu une chambre ; Anne et moi continuons vers l'auberge municipale de Calbor, arrivée à 16 h 20 : 27 km, avec de bonnes côtes. Nous y sommes seuls. Pas pour longtemps, le dortoir se remplit, nous serons 12 pour 16 places. Accueil glacial, franchement impoli, de la jeune préposée ; cuisine toute neuve, mais sans aucun ustensile, pas une casserole… à ne pas recommander. Dîner dans un resto qui paraît sympa, à 300 m, mais menu très moyen et addition lourde, une bouteille de vin facturée 10 € alors qu'elle l'est habituellement à 2 ou 3 € avec le menu du pèlerin. Calbor : à éviter…

Samedi 16 avril : CALVOR – PORTOMARIN : 27 km.

Départ à 7 h 20, Anne et moi ; le ventre creux, bien sûr. Arrêt à Sarria au premier bar ouvert : très sympa et copieux. Très jolie étape, dans la colline, maintenant : on se croirait parfois dans le Limousin, parfois en Bretagne. Beaucoup de prés, de vaches ; des murs de pierre, des chemins creux ; beaucoup de fleurs, les premiers châtaigniers. Les premiers foins sont déjà coupés. Le sentier est joli et agréable. Mais aujourd'hui, le chemin est littéralement envahi d'espagnols de tous âges : la Semaine sainte est fériée en Espagne, pour permettre aux espagnols de participer aux nombreuses manifestations folklorico-religieuses organisées un peu partout, et beaucoup en profitent pour faire les 100 derniers kilomètres du Camino, ce qui donne droit au certificat de bon pèlerin, très convoité par les jeunes pour agrémenter leur CV. On est donc très nombreux sur le chemin… c'est vraiment Disneyland !  Déjeuner dans l'herbe avec ce qui nous reste d'hier, petite sieste. Arrivée à Portomarin à 15 h 30.
            Depuis O Cebreiro, l'entrée en Galice, le chemin est borné tous les 500 m. On sait donc toujours ce qui nous reste à parcourir pour arriver à Santiago. A Portomarin on est au km 90, j'avais compté environ 1090 km de Villaudric à Santiago, j'ai donc passé les 1000 km ce soir. La forme est toujours impeccable, je n'ai pas eu une ampoule aux pieds, pas le moindre rhume, aucun souci, à part une légère douleur dans le dos qui ne passera, je suppose, que quand j'aurai fini de porter le sac !
            Arrivés à Portomarin, on retrouve Thea, déjà installée dans sa chambre. Anne et moi allons au gîte municipal ; mais Anne, quand elle voit les douches (séparées hommes / femmes, quand même, mais pas de portes aux cabines : comme les vestiaires de foot…), elle me quitte pour aller partager la chambre de Thea. Il est vrai que le gîte est assez spartiate ! Le lavoir à linge est de l'autre côté de la rue, très peu de place entre les lits, aussi bien en largeur qu'entre le lit du bas et celui d'au-dessus… Je vais faire un tour en ville (vite fait !), messe à 20 h (messe anticipée du dimanche des Rameaux, mais ce n'est pas l'évangile de la Passion, je crois reconnaître l'entrée de Jésus à Jérusalem), puis, toujours à trois, nous allons prendre le menu du pèlerin dans un petit resto. Au lit à 22 h ; nuit calme, malgré une cargaison de filles d'environ 17 ans qui occupent presque tous les lits du dortoir ; j'avais peur d'entendre jacasser toute la nuit.

Dimanche 17 avril : PORTOMARIN – PALAS DE REI : 26 km.
P'tit déj à 7 h 15, à 3, et départ à 7 h 30. Brouillard assez épais, mais doux et pas de vent. Joli chemin qui monte, assez rude, dans les bois. Beaucoup de monde sur le chemin, encore bien plus qu'hier, on dirait que toute l'Espagne se rend à Santiago. C'est vrai, c'est un peu Disneyland : des tenues d'été bigarrées, des petits sacs dans le dos, des gens qui marchent tous dans le même sens… Encore des prés, des vaches, des étables, des murs de pierre, des chemins creux… Halte pour déjeuner dans un petit resto bien sympa, au soleil ; on partage deux assiettes de salade mixte et une de fromage, ça nourrit bien. On rencontre Jane, du Massachussetts ;  69 ans, elle en paraît facilement 10 de plus ; accompagnée d'une petite-nièce, elle marche très difficilement, mais elle s'est juré d'arriver à Santiago ; elle arrivera !
            A l'entrée de Palas de Rei, on voit deux premières auberges qui ne nous tentent pas. Au centre-ville, celle qui nous plaisait est complète. Une autre, à côté, ne nous attire pas beaucoup ; de toute façon, il n'y a pas de prises dans le dortoir : le problème est réglé. Anne et moi repartons vers une autre auberge, à l'entrée du village : elle est très bien et il y a de la place : parfait. Il est 16 h, on s'installe. On retrouve Soizic et Jésus, couple franco-espagnol très sympathique. Dîner tranquille à l'auberge. Thea, elle, avait rejoint sa chambre d'hôte réservée : à cause de ses pieds en compote, elle doit faire porter son sac par une camionnette et doit donc réserver à chaque fois ; heureusement, ses pieds vont mieux, elle peut maintenant, sans sac, faire des étapes complètes.

Lundi 18 avril : PALAS DE REI – RABADISO DA BAIXO : 23 km.
Départ matinal, Anne et moi ; il fait toujours beau, mais ça doit se couvrir dans la journée. Sentier et petites routes quasiment sans voitures, c'est bien agréable. Un peu moins de "touristes" sur le chemin ; du moins, moins d'adultes mais encore beaucoup de jeunes "promeneurs". Les gens du pays sont sympas, beaucoup nous parlent, même si on a du mal à se comprendre. On récupère Dorothée devant chez elle, elle vient avec nous. Traversée de Melide, sans intérêt. On partage quelques restes trouvés dans nos sacs, ça suffira pour le déjeuner. Arrivée à Rabadiso da Baixo, trois maisons sur le bord d'une jolie rivière, deux auberges dont une toute neuve où nous allons : c'est parfait. Presque ! La salle de bains, commune hommes / femmes,  comporte deux douches, deux lavabos et la porte d'accès au WC ; on accède à cette salle de bains par deux portes, l'une donnant sur un dortoir, l'autre sur le bar ; ces portes n'ont aucun verrou, intérieur ou extérieur, et les douches n'ont ni cloison, ni porte, ni rideaux : pour l'intimité, dommage ! Espérons que ce n'est que provisoire… Dîner : on retrouve Kris, qui depuis quelques jours marche avec Christian, un allemand d'Augsbourg ; ils ont pris tant de bières cet après-midi qu'ils vont vite se coucher. On reste avec Velli (Wilhelmine), hollandaise, la quarantaine, qui a fait le camino depuis chez elle l'an dernier en vélo, mais est tombée à deux étapes de l'arrivée : elle recommence cette année, pour ces deux dernières étapes, à pied, avec sa fille de 17 ans, qui préfère dormir plutôt que dîner. Dîner aussi avec Anna, notre hongroise, la trentaine, sportive, très ouverte ; on se comprend assez bien en anglais. Pour le dîner, je m'envoie une assiette de poulpe, la première : c'est la spécialité du pays, la Galice, et c'est fort bon. On termine de dîner quand l'orage éclate ; il pleut assez fort quasiment toute la nuit.

Mardi 19 avril : RABADISO DA BAIXO – MONTE DO GOZO : 38 km.
Départ tranquille à 8 h 45, l'étape prévue est courte. On traverse les faubourgs d'Arzua, sans intérêt. Il pleut, une petite bruine, pas méchante. Encore du monde sur le chemin, moins qu'hier. On rattrape de nouveau Thea, qui a quitté son gîte avant nous ; elle marche mieux. Toujours du chemin, de plus en plus d'eucalyptus, cela sent bon. Très peu de vélos aujourd'hui ; le chemin est trop dur pour eux, ils prennent la route. On retrouve notre couple franco-espagnol. Le temps se dégage, je me retrouve en T-shirt. Arrivée à 12 h 45 à O Pedrouzo, terme prévu de notre étape. Je réfléchis : pourquoi ne pas poursuivre jusqu'à Monte do Gozo ? ce qui me permettrait d'arriver tôt mercredi matin à Santiago. Je lâche donc les deux copines et continue mon chemin. Pas mal de monde. Brutalement, forte pluie, qui dure bien une heure. Je remets la veste, je suis bien protégé, je continue. Mais curieusement, le camino s'est instantanément vidé : tous les "touristes" se sont réfugiés dans les cafés, bars, restos, albergues… et je me retrouve quasiment seul sur le chemin ; quel bonheur… Il pleut, je suis seul, je marche, je suis bien… Tout a une fin, la pluie s'arrête. Deux espagnoles déjeunent, assises sur un tronc d'arbre ; elles m'offrent une rondelle de saucisson, que j'accepte avec plaisir ; on se donne rendez-vous à la messe de midi, demain à la cathédrale. Anna me rattrape, on marche un moment ensemble ; elle a été mariée, je n'en saurai pas plus ; son jeune frère veille sur elle, elle lui a promis d'être à Santiago ce soir, il lui reste onze km et il est déjà 16 h… Nous nous quittons, je reprends ma marche solitaire ; arrivée à Monte do Gozo sous une pluie battante. Coup d'œil à la chapelle, jolie ; arrivée à l'albergue : 400 places, c'est un peu l'usine mais l'accueil est bon. Je retrouve Velli et sa fille Hagene, ainsi que Filippo qui avait abandonné pour tendinite mais a pu reprendre. Sandwich à la cafétéria,  bière avec deux allemands de Cologne et au lit.

Mercredi 20 avril : MONTE DO GOZO – SANTIAGO : 4,5 km.
Réveil à 6 h, mais il pleut ; inutile de chercher à voir le lever du soleil sur la cathédrale : je me rendors. P'tit déj à 8 h 30 avec un vieux quignon de pain et en route. Ca descend, je suis vite à Santiago mais il faut traverser la ville, qui se réveille. Je reconnais les avenues, les carrefours, les monuments. La pluie a cessé, le soleil se montre. Arrivée dans le centre historique, il est 9 h 30. La petite rue qui descend, la cathédrale sur la gauche, le porche, la place de l'Obradorio. Silence, on pleure ; et je ne suis pas le seul… Il est encore tôt, il y a peu de monde sur la place ; quelques têtes connues, mais pas de pèlerins avec lesquels j'ai marché. Au bout d'un long moment, je me dirige vers le centre d'accueil, où après avoir vérifié ma credencial (deux tampons par jour sur les 100 derniers km) et ma carte d'identité, on me remet le diplôme. Je suis passé en moins de 5 minutes, il y a maintenant une bonne cinquantaine de personnes qui font la queue. Retour devant la cathédrale, de nouveau un moment de grande émotion. Puis je vais à la recherche du bar où, sur la suggestion d'Anne, j'ai réservé une chambre pour deux jours. C'est à 50 m de la cathédrale, une rue très calme, une chambre minuscule mais le lit est bon et la salle de bains utilisable ; 15 € la nuit, c'est donné. J'installe mes affaires, me change et retourne à la cathédrale. Visite rapide : il est déjà midi, l'heure de la messe des pèlerins ; déjà ils sont nombreux et ça continue à arriver. A la sortie, je retrouve Anne, qui a réussi à faire ses 20 derniers km dans la matinée et à arriver à l'heure pour la messe. Nous nous quittons, elle va s'installer dans sa chambre ; elle a droit à un lavabo et vue sur la cathédrale : 20 € la nuit…
            Pendant deux jours, je vais continuer à me promener, d'églises en musées, de couvents en ruelles ; seul, à digérer tout cela. Messe à 18 h, procession annulée à cause de la pluie ; dîner avec Lucas, hospitalier belge qui avait recommandé à Anne le bar "La Campana de san Juan" où nous logeons. Visites, de nouveau, le lendemain, en particulier la très belle église de San Martino Pinario et du musée qui lui est accolé, dans le couvent des bénédictines, tout proche de la cathédrale. Retours fréquents sur la place de l'Obradorio, pour y accueillir ou y retrouver quelques-uns des pèlerins avec lesquels nous avons cheminé depuis trois ou quatre semaines et qui continuent d'arriver ; une bonne trentaine, au moins ; on se dit au revoir, quelques banalités ; on sait que l'on ne se verra plus, mais que l'on a partagé de grands moments ensemble. Comme Kris, qui m'a dit très discrètement, trois jours plus tôt "Maurice, je te remercie". "Mais de quoi ? Je n'ai rien fait !". "Tu m'as écouté…" Des liens très forts se sont ainsi noués.
            Dernier dîner avec Thea, Anne et Lucas, dans une pulperia, à côté d'autres tables de pèlerins. Adieux, une petite larme au coin de l'œil. Et le vendredi saint, 22 avril, je prends le train de 9 h 30 pour être à la maison à Pâques.

 

IV   /   ALORS, LE CHEMIN, COMMENT CA S'EST PASSE ?

JE SUIS PARTI.
J'ai donc abandonné Mireille. Pas complètement : les téléphones portables permettent de ne pas se quitter. Un SMS le matin pour se dire bonjour, un le soir pour dire où on est arrivé, un coup de fil rapide tous les deux jours, pour avoir des nouvelles des enfants, le contact est maintenu : nous avons été très proches l'un de l'autre. Je n'ai que très peu appelé les enfants et petits-enfants, mais j'ai tellement pensé à eux… J'avais une photo de toute la tribu glissée dans ma credencial, je la montrais chaque soir à l'hospitalier qui me la tamponnait : un bon moyen pour entamer la conversation et pour avoir une pensée pour chacun… Non, l'absence ne nous a pas séparés, au contraire. J'ajoute qu'il m'arrive, à la maison, d'être un brin autoritaire, d'imposer mes désirs, même involontairement ; avec cette séparation, Mireille a retrouvé un espace de liberté et d'autonomie qu'elle avait un peu perdu…

JE SUIS ARRIVE A ST JACQUES.
L'itinéraire choisi m'a fait traverser 4 provinces en France : la Gascogne dans le Gers, pays de collines et de grandes cultures, la Bigorre dans les Hautes-Pyrénées, plus boisée, avec déjà de l'élevage, le Béarn et le Pays Basque dans les Pyrénées  Atlantiques, pays humide, très vert, l'élevage et la chasse ont remplacé la culture, beaucoup de forêts, déjà la montagne. En Espagne, j'ai traversé successivement la Navarre, qui ressemble beaucoup à la Navarre française, mais à 800 m d'altitude au lieu de 300 ; la haute vallée de l'Ebre et la Rioja avec ses vignes ; les Monts de Oca ; le long plateau de Castille y León, de Burgos à León, à 800 m d'altitude également, avec ses grandes cultures et ses routes toutes droites ; les Monts de León ; la Galice, enfin, beau pays qui, par certains côtés, ressemble étrangement à la Bretagne.
Précisons une chose, cependant : quand on choisit un itinéraire, on ne s'inscrit nulle part, on ne passe aucun contrat ; on est entièrement libre de le suivre ou de s'en écarter, de le suivre à pied, à cheval ou en voiture, d'interrompre son voyage, de l'écourter. L'itinéraire n'est qu'une aide : il est balisé, vous ne pouvez pas vous perdre si vous le suivez (quelques portions de la voie d'Arles, en pays basque surtout, ne le sont pas bien), des guides bien faits (Topoguides, Michelin, Miam-miam-dodo, Röther…) vous donnent d'excellents renseignements sur les parcours, distances et durées, les curiosités, les gîtes, chambres d'hôtes et autres auberges… mais c'est bien vous qui choisissez vos étapes, selon vos propres critères ; on pourra vous donner des informations, des conseils, jamais des directives : vous êtes seul responsable de votre marche.
En France, j'ai eu le sentiment que le tracé du chemin s'écarte souvent de l'itinéraire "historique" : les principales étapes sont respectées, mais pour aller d'une ville à l'autre, d'une abbaye à un couvent, le chemin essaye de passer, le plus souvent, par de vrais sentiers, en évitant les routes dans la mesure du possible, au moins les routes importantes. En Espagne, au contraire, il semble que l'on ait plus volontiers respecté l'itinéraire "traditionnel" des pèlerins, qui suit souvent des grands axes ; quitte, si on suit une route, à créer un chemin parallèle à côté de la route. Si l'on ajoute le fait que le camino francès est beaucoup plus fréquenté que les GR français, qu'il faut bien assurer le gîte et le couvert à tous ceux qui l'empruntent et que les autorités espagnoles se sentent obligées d'assurer la sécurité des usagers, on aboutit immanquablement à un chemin "sécurisé" bien moins agréable qu'un sentier de montagne ; on s'étonne, par exemple, de voir un panneau "danger" quand on va traverser un chemin vicinal et de devoir faire un grand détour pour traverser une route secondaire quasi-déserte par un passage souterrain. Un petit côté commercial par-dessus n'arrange rien ! Le Camino est partout doublé d'un itinéraire routier abondamment balisé  comme "Camino de Santiago", véritable axe touristique parfaitement aménagé.
Beaucoup de pèlerins, une fois arrivés à Santiago, poursuivent jusqu'au cap Finisterre ; je n'en ai pas eu envie : mon but était St Jacques, pas ailleurs, j'ai préféré y passer les deux jours qui me restaient avant le retour. Je pense y retourner, en voiture, avec Mireille, pour lui montrer ce que j'ai vu ; nous irons probablement au cap Finisterre, mais en touristes, pas en pèlerins.

J'AI MARCHE EN HIVER… et au printemps.
La météo, coup de chance inouï, a été particulièrement clémente : très peu de froid, une dizaine de jours de pluie seulement, assez peu de vent, contrairement à ce que l'on m'avait annoncé ; pas un jour de pluie du 1er au 18 avril, c'est exceptionnel ; plusieurs jours de vraie chaleur, 30 ° et plus. Il faisait d'ailleurs le même temps en France, chacun a pu s'en rendre compte. Indépendamment des contraintes qui m'avaient fait choisir la date de mon départ, je pense que c'est la meilleure période ; il vaut mieux avoir froid que chaud pour marcher, je sais que je n'aurais pas supporté les fortes chaleurs de l'été. Et la nature est tellement belle au printemps…

J'AI MARCHE SAC AU DOS.
Un bon sac à dos, avec des poches partout et assez grand pour ne pas avoir à tasser ce que l'on y met, c'est essentiel.  Le reste : un duvet extra-light, le linge de rechange (1 slip, 1 t-shirt, 2 paires de chaussettes, 1 polo, 1 pantalon : ça suffit), 1 paire de savates légères, mini-trousse de toilette, petite serviette de toilette, mini-pharmacie (sparadrap, akiléine anti-frottements, ciseaux, aiguilles, dafalgan, protection des lèvres, arnica et apis pour les piqures), 3 m de ficelle (corde à linge), 8 pinces à linge ou à dessin, élastiques, mini-lampe électrique, quart en alu, chargeurs téléphone et appareil photo, gourde souple avec tube pour boire sans s'arrêter (indispensable), et, bien sûr, ma machine à respirer, hélas ! près de 2 kg avec la rallonge et la prise multiple. Petite réserve de papier hygiénique (une tourista peut toujours arriver) et sac poubelle de grande taille. Guide Michelin du Camino de Santiago (largement suffisant, 88 g, un record), carnet de notes renseigné (adresses, tél., e-mails, renseignements sur certaines étapes, divers…), clé USB, crayon-bille, credencial avec photo de famille.
Le peu de linge emporté m'a toujours suffi : il suffit de faire la lessive dés l'arrivée à l'étape, juste après la douche.
Sur moi, une bonne paire de chaussures basses et non étanches (c'est plus léger, plus souple et ça sèche vite), chaussettes, pantalon (non étanche, c'est inutile : on n'a pas froid aux jambes en marchant et ça sèche très vite, en moins d'une heure après une très forte pluie), slip, t-shirt, polo, bonne veste bien étanche ; appareil photo, petit couteau suisse (55 g), téléphone, papiers, monnaie. Bien entendu, chapeau à large bord (casquette à longue visière pour le temps de pluie) et bâton (j'ai renoncé au bourdon en bois, plus lourd, moins maniable).
L'équipement que j'avais adopté (Quechua, chez Décathlon) s'est révélé parfaitement adapté : je n'ai pas réellement souffert des intempéries ; j'en ai été, tout au plus, incommodé. J'ai eu la chance, également, de ne pas avoir de douleurs ; aucune ampoule aux pieds, pas de mal au genou gauche, fragile (j'ai toujours porté la genouillère), pas de rhume, pas de tourista, pas (ou peu) de coups de soleil, rien ! Si ce n'est, au bout de trois semaines, l'apparition d'une douleur au bas du dos : je ne serrais pas assez la sangle ventrale du sac, tout le poids portait sur les épaules au lieu de porter sur les hanches. Trop bête… J'ai rectifié le port du sac, mais gardé le mal au dos jusqu'au retour.
La fatigue ? Elle a été réelle au début. Les 21 km du premier jour m'ont littéralement crevé. Puis le rythme est venu en quelques jours : une semaine plus tard, je m'enfilais 37 km sans trop de fatigue, et les 38 km de l'avant dernière étape sont passés sans problème. Mais surtout, ne pas forcer les premiers jours…
Petit détail : je n'ai pas pris le rasoir électrique, pour m'alléger, mais des rasoirs mécaniques. Paresse ? Volonté de changer mes habitudes ? Je ne me suis pas rasé pendant 48 jours. Au retour, j'avais, aux dires de certains, une bonne tête de baroudeur ; mais ça gratte, ça prend des miettes quand on mange… et ça me vieillissait, dixit Mireille. 8 jours après, exit la barbe !

J'AI MARCHE SEUL… mais pas toujours !
J'ai marché seul les premiers jours : début mars, il n'y a pas grand monde sur le chemin, j'étais le premier pèlerin de l'année sur la voie d'Arles, à part un excentrique parti en janvier. Sur la voie du Puy, à partir du 15 mars, j'ai commencé à voir d'autres personnes, à partager des repas dans les gîtes, parfois un bout de route. Mais ce n'est qu'à partir de St Jean Pied de Port que le chemin a été plus fréquenté et que j'ai rencontré des personnes avec qui marcher. Non pas que je l'aie cherché : les rencontres se font naturellement, au cours des étapes ; on rattrape quelqu'un, on marche ensemble dix minutes, on se sépare, on en trouve d'autres, on se re-sépare, sans savoir pourquoi. Parfois on marche en silence, côte à côte ; parfois de longues conversations, les sujets sont variés : le paysage, la nature, les villages traversés ; la famille, les êtres chers ; le métier, les diverses activités. On parle toujours, je l'ai constaté, avec beaucoup de respect mutuel, d'écoute, d'attention ; beaucoup de franchise aussi, de simplicité : on sent que la rencontre est une parenthèse dans notre vie, que l'on ne se verra sans doute plus, que l'on n'a pas de raison de tromper l'autre, de se vanter ; on ne dit pas tout, bien sûr, mais ce que l'on dit est vrai ; c'est du moins ce que j'ai cru ressentir le plus souvent.
Quels sont les pèlerins que l'on rencontre ? Toutes les nationalités, tous les âges, de 18 à plus de 80 ans ; toutes les motivations : peu ont un but vraiment religieux, probablement moins de 10 %. Quelques-uns, peu nombreux, recherchent l'exploit physique ; on a peu de contact avec eux, ils marchent vite et longtemps, on ne les revoit pas deux fois aux étapes. Nombreux sont ceux qui viennent parce que c'est la mode, parce que l'on en parle partout, pour faire une cure de jouvence physique et mentale. Beaucoup aussi semblent en recherche spirituelle et humaine, après un coup dur : divorce ou séparation, perte d'un être cher, maladie… Et curieusement, quasiment tous, après quelques jours, ont pris "l'esprit du chemin", le dialogue, le partage, la sérénité, le temps devant soi…
On marche parfois avec une personne en difficulté, quelle qu'en soit la cause : mal aux pieds, sac trop lourd, peine de cœur, vague à l'âme… On parle peu, dans ces cas-là, on se contente d'accompagner, ça fait parfois du bien. J'ai la chance d'être pleinement heureux dans la vie ; je pense que "Maurice le Toulousain" a contribué à redonner du moral à quelques-uns : j'en suis heureux.
Petit à petit, des liens plus étroits peuvent s'établir, quand on sent que l'on est en phase, que l'on marche au même rythme, que l'on a des valeurs communes, des idées qui se rejoignent. Alors on peut parler d'amitié et même de communion… même si ça ne dure qu'un temps. Curieusement, j'ai souvent marché avec différents couples de femmes, de nationalités, de cultures et d'âges très divers ; j'étais bien, elles m'ont apporté beaucoup ; j'espère ne pas les avoir trop embêtées… Mais jamais on ne se forçait à rester ensemble, souvent on se séparait, pour se retrouver quelques minutes, quelques heures ou quelques jours plus tard, au hasard du chemin.
Parfois aussi, sans que l'on sache pourquoi, un groupe se formait avec des pèlerins connus ou inconnus, souvent à l'occasion d'un arrêt-boisson ; il se défaisait aussi vite qu'il s'était formé, pour se reconstituer le soir à l'étape. Le hasard…
Mais au total, je pense bien avoir marché seul largement plus de la moitié du temps ! Je ne le regrette pas.

J'AI PRIS MON TEMPS
Sur le chemin, le plus souvent, rien ne presse. On s'arrête pour voir le lever du jour, pour admirer le paysage, pour visiter une chapelle, pour regarder les fleurs, pour dire une prière devant une croix ou une statue. On attend un autre pèlerin, on fait un brin de causette avec des gens du pays. Rien ne presse, personne ne nous attend. On prend son temps pour penser aux uns et aux autres, aux enfants, aux amis. En marchant, on ne réfléchit pas, on laisse son esprit vagabonder. C'est sans doute cela, faire le vide. Est-ce une perte de temps ? Certainement pas, cela donne au contraire une grande liberté de pensée.
Les après-midi sont parfois longs, quand l'étape a été courte. Après douche et lessive, c'est la détente, on a du temps et on le prend ; on visite la ville ou le village, c'est souvent rapide ; on prend un verre avec d'autres pèlerins, on feuillette le journal local ; il m'est arrivé de faire un mot croisé. Je ne regrette pas d'avoir laissé la bible à la maison : je n'aurais pas eu souvent des conditions tranquilles pour la lire ; mais j'ai bien souvent pu lire la messe du jour dans "Prions en Eglise" que j'avais emporté. J'ai essayé, les premiers temps, de trouver un point internet pour frapper et envoyer mon journal ; difficile, pas beaucoup de points internet, pas toujours libres, des claviers différents et parfois usés et peu lisibles, des problèmes de connexion… j'y ai renoncé, me contentant de raconter ma journée sur mon carnet, ce qui me prenait déjà pas mal de temps, mais m'a permis de faire une relation à peu près fidèle de cette belle aventure.
Seul moment où on n'a plus beaucoup de temps : après le dîner, car il faut se coucher vite ; dans la plupart des gîtes, coucher en général entre 21 h et 21 h 30, extinction des feux à 22 h au plus tard, car il faut se lever tôt : on doit libérer le plus souvent avant 8 h. Les nuits sont donc assez longues et réparatrices : je n'ai jamais été dérangé par des ronflements ou autres bruits exotiques ; sauf, deux fois, par des espagnols soi-disant sportifs, qui se préparaient bruyamment à 6 h du matin ; j'ai grogné un bon coup, ils ont compris. Pour ma part, Dieu merci, ma machine m'empêche de ronfler…

PETIT BILAN :
Pour aller à St Jacques, le plus dur est de se décider à partir. Quand on est parti, tout devient facile. Il y a des difficultés, certes, on souffre de la fatigue, des intempéries, de la soif, de la promiscuité ; ce n'est rien, à côté du bonheur que l'on y trouve : des paysages magnifiques, des cathédrales et des chapelles de toute beauté, des rencontres merveilleuses ; et le temps, le temps de penser aux autres, le temps d'admirer la nature, le temps de se retrouver soi-même, le temps de prendre son temps. On est porté par le chemin, on trouve en soi une énergie que l'on ne soupçonne pas. 45 jours d'un grand, d'un vrai bonheur.
Y retournerai-je ? Probablement pas. Peut-être quelques étapes, à l'occasion, pour accompagner quelqu'un. Mais tout recommencer, j'aurais peut-être peur d'être déçu. Et abandonner Mireille encore une fois ? Je ne peux pas lui faire cela.

Ai-je changé ? Sur le coup, oui : une bonne cure de jouvence, physique et morale ; pourvu que cela dure !

Maurice, le Toulousain aux quatorze petits-enfants.

 

 

 

 

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